Il s’appelait, de son vrai nom, Christian Baldensperger. Mais il était
mieux connu sur les ondes comme Jean Hélène. Il était l’un des journalistes de
RFI, les mieux suivis en Afrique, entre autres, de Nairobi au Kenya, ou sur les
bords de la lagune Ebrié. Il régalait les auditeurs de la « Radio mondiale » de
ses reportages épicés, émouvants, accrocheurs, chaloupés, appréciés autant dans
les salons feutrés que dans les «garbadromes» et «allokodromes»*.
Mais cette voie ne passait pas
dans toutes les oreilles, surtout pas celles de ceux qui l’ont fait taire pour
de bon, un certain 21 octobre 2003, alors que l’« inoffensif» Jean, comme l’a
qualifié son confrère d’alors, Emmanuel Koffi, venait de fêter, deux mois
auparavant, un demi-siècle de vie. Un « fou d’Afrique », qui a consacré au
continent noir le meilleur de son inspiration, avant de lui offrir son sang sur
l’autel de sa mission noble qui l’amenait à fouiner et chercher l’information,
la bonne et vraie, pour la porter à un public qui en veut toujours plus.
En avait-il un peu trop comme les
journalistes de sa trempe qui finissent par être considérés comme des boîtes
noires, tant ils ont révélé au grand jour des sujets que certains ont enfoui
bien loin sous terre ? Est-il parti avec un grand secret ? En tout cas, c’est
dans cette course effrénée derrière l’actu que Jean Hélène sera surpris, un
soir d‘octobre 2003, par la balle assassine d’un policier qui était, peut-être
en mission pour inaudible à jamais, cette voix qui dérangeait dans une Côte
d’Ivoire où le pouvoir d’alors, celui d’un certain Laurent Gbagbo, supportait
mal la contradiction. Ironie du sort, c’est dans un endroit de haute sécurité,
notamment près du siège de la direction de la police nationale ivoirienne que
la vie du journaliste exceptionnel prit tragiquement fin.
Celui qui a traversé des zones de
guerre, de conflits divers, de massacres génocidaires et d’assassinats de
journalistes comme celui de son confrère burkinabè, Norbert Zongo, trucidé et
calciné un certain 13 décembre 1998, n’a pu échapper au destin fatal de ces
âmes qui disparaissent sans crier gare, à force d’avoir côtoyé, sans cesse le
danger. Du Kenya à la Côte d’Ivoire, en passant par la Somalie, l’Ethiopie,
Madagascar, le Soudan, le Burundi, le Zaïre aujourd’hui République démocratique
du Congo, le Rwanda ou le Liberia des horreurs entretenues par les seigneurs de
guerre, Jean Hélène était toujours au front. Mais avec pour seules armes, son
stylo, son calepin et son micro.
Il n’est donc plus, mais son
œuvre journalistique et son souvenir d’homme de compagnie agréable, ne
pourront, eux, jamais ne disparaître ! Et dans cette logique, l’hommage que lui
ont rendu ses confrères, des politiques, et l’Ivoirien anonyme, ce 26 octobre
ressemble à une résurrection du christ de la presse. Oui, comme le Seigneur
Jésus-Christ des fidèles chrétiens, Christian-un prénom prédestine donc-a porté
sa croix et fut finalement livré à la mort par un policier. Etait-ce un Judas
de service, cet agent des forces d’insécurité, pardon de sécurité ? Combien de
deniers a-t-il reçus pour accomplir sa sale besogne ? Savait-il qu’il venait de
tuer un Jean Hélène pour en faire naître de nombreux autres à travers le monde
?
Jean Hélène, en Afrique, ce
continent que tu avais dans la peau, « les morts ne sont pas morts ». Comme l’a
clamé le poète Birago Diop et comme l’enseigne la culture de nos ancêtres, les
morts vivent toujours. Ils sont présents et à eux on voue un culte et un
respect inestimables et sacrés.
Jean Hélène, l’insubmersible, tu
n’es pas mort !
WS