Quand le Parquet National Financier Français (PNF) ouvre une enquête préliminaire pour corruption contre des entreprises françaises évoluant dans le domaine minier dans notre pays, ainsi que des officiels français et guinéens, cela est loin d’être anecdotique. Quand on sait à quel point ces juges anti-corruption sont sourcilleux, cela nous amène à ne pas prendre ce dossier à la légère. Pour une fois que des officiels français et guinéens se retrouvent sous les fourches caudines des juges anti-corruption français, cela mérite bien les coups de projecteurs des médias que nous sommes. Surtout dans cette affaire impliquant AMR et d’autres sociétés, le manque à gagner pour l’Etat guinéen se chiffrerait au bas mot à plusieurs dizaines de millions de dollars us. Une affaire de gros sous, que nous tentons de comprendre à travers cette enquête.
Bonjour Akoumba Diallo, votre enquête de ce lundi s’intéresse à la face cachée de
notre univers minier. Et quand le
Parquet National Financier Français (PNF) promène ses radars du côté de notre
pays, dans le cadre d’une procédure d’enquête préliminaire pour corruption,
cela a de quoi nourrir notre curiosité. Dites-nous pour commencer, comment en
est-on arrivé-là ?
Je dois tout d’abord rappeler que c’est en mars dernier, que
plusieurs médias français ont annoncé dans leurs manchettes et autres dépêches,
que le Parquet National Financier (PNF) avait décidé d’ouvrir une procédure
d’enquête préliminaire contre des entreprises minières que sont AMR, SMB, Rock
Ocean, ainsi que des officiels guinéens et français.
Tout serait partie d’une rémunération suspecte, découlant
d’un contrat de prestation signé entre AMR et Rock Ocean. Pour la simple raison
que certains actionnaires et administrateurs de la société AMR, assureraient
les mêmes rôles au sein de Rock Ocean.
Il n’en fallait pas
plus pour que le mouvement international
‘’Tournons La Page (TLP)’’ et l’Association guinéenne Plateforme nationale des
Citoyens Unis pour le Développement (PCUD) montent sur leurs grands chevaux
pour demander au Parquet National Financier Français de se bouger, afin de voir
si tout ça n’avait pas un parfum de corruption ?
Oui tout à fait.
C’est à compter du 12 novembre 2020, que le mouvement
international Tournons La Page (TLP) et l’Association guinéenne Plateforme
nationale des Citoyens Unis pour le Développement (PCUD) ont demandé au parquet
national financier français d’ouvrir une enquête pour « corruption active
d’agent public étranger, corruption passive ou active des personnes n'exerçant
pas une fonction publique, trafic d’influence, blanchiment et présentation de
comptes sociaux inexacts », afin de faire la lumière sur les activités
minières en Guinée de la société française Alliance Minière Responsable (AMR).
La clôture des
comptes tenus dans les livres d’une banque primaire de la place avait de quoi
aussi mettre la puce à l’oreille…
Trois mois avant que le parquet financier français n’entre
en jeu, c’est-à-dire en juillet, un document relatif au fonctionnement des
comptes bancaires d’AMR, nous est tombé entre les mains. Ce document que nous
avons consulté nous a permis d’apprendre un peu plus sur les contours d’un
mécanisme de clôture, qui était dans un délai de 30 jours, de tous les comptes
d’AMR tenus dans les livres d’une banque de la place.
Il y a cet article de nos confrères de Libération que vous
citez également dans votre enquête. Article qui semble bien fouillé, qui
remonte la piste d’un astucieux montage fiscal concernant l’octroi de ce fameux permis minier ?
Cet article publié le 11 octobre 2020, par le Journal
Français Libération souligne que la société d’exploitation de bauxite créée par
deux néo-entrepreneurs et abondée par de prestigieux actionnaires a « fait
chavirer le Tout-Paris », attiré par leur belle image vertueuse. Ainsi, ce
média Français remonte la piste d’un astucieux montage fiscal, comme vous avez
eu à le noter.
Si l’on en croit diverses sources consultées par l’enquête,
l’attribution en 2013, d’une autorisation de reconnaissance, puis d’un gros
permis de recherche extrêmement bien situé à des personnes qui, manifestement,
ne possédaient pas « les capacités techniques et financières nécessaires pour
mener à bien ces activités » comme le prévoit le code minier, a aiguisé la
curiosité d’un consortium de journalistes.
Tout se serait
déroulé sans équivoque, n’eut-été les vas et vient de cet actionnaire du nom de
Mamady Camara. Qui est ce Monsieur ? S’agit-il d’un gros bonnet du
système ?
La présence et la probable sortie de l’actionnaire, Mamady
Camara ont donné en effet matière à suspicion. La question s’est alors sur
l’identité de ce Monsieur Mamady Camara. Pour savoir qui est-il ? Quel est
son rôle dans ce montage financier? Quand et pourquoi se retire-t-il de
l’affaire ? Et À quel prix ?
Pourtant la création
d’une société au Belize ne souffre d’aucune entorse. Vu que la demande
d’autorisation a été soigneusement
préparée, organisée. Même si, à ce stade, il n’y avait pas encore d’enjeu
fiscal ?
C’est bien cela. La demande d’autorisation est soigneusement
préparée, organisée, avec la création d’une société au Belize. C’est évidemment
courant dans le secteur extractif, mais il n’y a, à ce stade, aucun enjeu
fiscal.
On peut donc penser que cette société offshore a pour
objectif de «masquer » un/des propriétaire(s) ultime(s) (rien ne dit que Romain
Girbal et Thibault Lannay en sont les seuls actionnaires), peut-être un/des «
facilitateur(s) » guinéen(s), pourquoi pas.
On voit apparaître en
grand le nom de M. Arnaud Montebourg, ancien ministre français et l’un des
éléphants du PS. Que vient-t-il faire dans ce dossier ?
Sachez que c’est sur injonction d’Arnaud Montebourg que le
montage par le Belize devait être « nettoyé ». Ce qui a entrainé la création
d’AMR France et le transfert de propriété du Belize vers la France de Diandian
Bauxite, puis son changement de nom. C’est là qu’apparaît Madame M’Balou
Fatoumata Kaloko, actionnaire directe d’AMR France. Elle ne possède que 1 % du
capital et se retire très vite, sans doute en empochant une belle plus-value
(lorsqu’elle vend, la « valeur » de ses 300 actions a été multipliée par au
moins 100, et peut-être par 250, en fonction de la date de vente). Mais sa
participation autour de table ne semble pas justifier la création initiale
d’une société au Belize. S’il existe bien dès l’origine un/des « mystérieux »
propriétaire(s) ultime(s), sans doute faut-il donc le(s) chercher maintenant du
côté d’Adventure Capital Corporation (ACC), au Luxembourg, société dont on ne
connaît pas l’ensemble des actionnaires.
Cette M’Balou
Fatoumata Kaloko, vous la connaissez-vous, vous qui êtes du monde minier. C’est
quand même étrange, vous ne trouvez-pas ?
Il faut que nos auditeurs sachent que la création de la
société mauricienne « Alliance minière responsable » est intervenue en janvier 2016, donc bien avant
l’accord avec SMB, et avant même que les études de faisabilité aient été
finalisées. Elle est créée quelques jours avant que ne soit réalisée la seconde
levée de fonds d’AMR France (augmentation de capital et émission obligataire).
Si la société en question a effectivement un lien avec cette
affaire, c’est sans doute de ce côté-là qu’il faut chercher.
Le deal entre AMR et SMB était préparé depuis de long mois
(AMR n’a probablement jamais eu l’intention d’exploiter directement), et a été
autorisé avec une extraordinaire dextérité par les autorités guinéennes. Quel
est la nature du deal ? Quelles sont les responsabilités des uns et des autres
dans ce deal? Comment les autorités guinéennes ont-elles pu accorder un permis
sur la base d’une étude de faisabilité pour une exploitation par AMR et,
quelques jours plus tard, qu’elles mettent cette étude à la poubelle pour
s’aligner sur un accord d’amodiation ?
Ce qui étonne aussi
dans ce dossier, c’est la vitesse avec laquelle SMB s’est adjugé le permis de
recherche rétrocédé par AMR ?
Eh bien, aux dires de plusieurs sources, la partie du permis
de recherche rétrocédée par AMR a fait immédiatement l’objet d’une demande de permis
d’exploitation par SMB, qui l’obtient en moins de trois mois. Cela faisait-il
parti du deal ? Y a-t-il eu «
indemnisation de l’inventeur » (AMR) comme l’article 31 du Code minier en
prévoit la possibilité ? Ce sont là autant de questions que les enquêteurs
tenteront de ressortir dans ce dossier.
On peut également se poser des questions sur l’origine des
fonds investis dans plusieurs projets
par Romain Girbal et Thibault Laninay, deux personnages et non des moindres
dans ce feuilleton ?
Romain Girbal et Thibault Laninay investissent dans un tas
de projets (Afrimalin, mines au Congo, IB2, etc.) ce qui suppose des revenus
significatifs qui, pour l’instant, ne « remontent » pas sous forme de
dividendes via AMR et ACC.
A combien on peut
estimer le manque à gagner pour l’Etat guinéen dans cette affaire, puisqu’il
s’agit bien d’une affaire de gros sous ?
Selon des sources techniques consultées, l’ordre de grandeur
du manque à gagner pour l’État guinéen de cette affaire est significatif.
D’abord, partons d’une première estimation à minima:
Pour des réserves limitées à 100 millions de tonnes
auxquelles est appliquée une exploitation au même rythme qu'en 2019 (18
millions de t / an), ce qui impliquerait un épuisement du gisement dès 2023.
Dans ce cas, le manque à gagner pour l’État est théoriquement moins important
puisque les charges pour les prestations facturées annuellement sont moins
nombreuses (et proportionnellement plus faibles par rapport aux charges
indexées sur la production) ;
Supposons une mise en œuvre de la totalité des clauses du
contrat, AMR Rock Oceanhors les 50 000 $ de commission sur d'éventuelles
transactions (commissions qui sont censées être plus aléatoires même si elles
sont, semble-t-il, facturé mensuellement d'après les factures dont disposent
les membres du consortium de journalistes).
Ces rémunérations de
prestations à une entreprise domiciliée à l'extérieur de la Guinée ne
doivent-elles pas donné lieu à un prélèvement à la source. Si oui, à combien
estimez-vous cela ?
Ces rémunérations de prestations à une entreprise domiciliée
à l'extérieur de la Guinée doivent normalement donner lieu à un prélèvement à
la source de 10 %. Je l'ai donc déduit du manque à gagner, même s'il semble ne
pas avoir été versé par AMR puisque nous n'en retrouvons pas trace, en tout cas
pour les montants attendus, ni dans le rapport ITIE ni dans les comptes d'AMR.
Pour cerner ce manque
à gagner, il Ya des calculs qui
pourraient perdre nos auditeurs. Pourquoi ne pas faire simple alors ?
Dans les manques à gagner pour l’État, j'inclus le manque à
gagner en termes d'impôt sur les bénéfices (30 % de ce qui a été transféré à
Hongkong), les dividendes qui devraient être versés à l’État au titre de ses 15
% de participation (= 15 % du résultat net après impôts) et le prélèvement à la
source de 10 % qui devrait être perçu sur les dividendes versés aux autres
actionnaires (10% de 85 % du résultat net après impôt).
Après toute la gymnastique, vous nous présenter un chiffre
minimum de 52,5 millions de $ de manque à gagner pour l’État guinéen. C’est
quand même énorme comme perte pour nos caisses ?
Je parle bien d’un
minimum de 52,5 millions de $ de manque à gagner pour l’État guinéen établit
par l’enquête sur laquelle les mises en cause n’avaient pas été démenti malgré
la demande qui leur avait été adressée par courriel.
Et plus encore si la production dure plus longtemps et/ou
que les réserves sont plus importantes.
En vérifiant 2 ou 3 choses sur les états financiers d'AMR
2018-2019, on s’est rendu compte que notamment sur l'évolution des "stocks
et encours" du compte de bilan et sur les "variations de matières
premières" du compte de résultat. L'un et l'autre doivent correspondre à
la bauxite extraite mais non encore facturée à SMB. Par exemple, la bauxite
extraite en décembre de l'année N n'est sans doute facturée qu'en janvier de
l'année N+1. Sa valeur ne peut donc pas apparaître dans le chiffre d'affaires.
Mais, en bonne logique comptable, cette bauxite produite a quand même une valeur
qu'il convient d'inscrire au compte de résultat de l'année N, puisque celui-ci
doit refléter au plus près la réalité de l'activité économique de l'entreprise
sur cette année N. La valeur de cette bauxite est donc inscrite en
"variation de matière première". Si le stock de bauxite non encore
facturé augmente, d'une année sur l'autre, cette "variation de matière
première" est positive. Au contraire, si l'entreprise a déstocké, cette
valeur est négative. Logique.
Mais avec AMR il
s’avère que la bauxite stockée n’est pas valorisée…
Le seul problème avec les compte d'AMR, c'est qu'on ne sait
pas à combien cette bauxite stockée (sans doute à Dapilon) est valorisée. En
général, une entreprise applique une décote sur son stock puisqu'elle ne
connaît pas par avance le prix à laquelle elle va pouvoir le vendre. Ici,
puisque AMR connait par avance le prix de vente (et qu'elle a même les analyses
qualité du stock dans les premières semaines de l'année N+1, avant la clôture
des comptes), on peut penser qu'elle est valorisée au "juste prix"
(~1.74$/tonne pour les exportations de janvier/février), à défaut au prix moyen
de l'année écoulée (~1.72$/tonne), au pire à 1,9$/tonne. Mais au final ça ne
change pas grand-chose.
En partant sur une hypothèse d'1.74$ par tonne, on peut
déduire des comptes financiers d'AMR que :
- le stock de bauxite produite mais non encore facturé à fin
décembre 2017 (= production de décembre
2017) avait une valeur de 3 millions de $ et devait donc correspondre à environ
1,75 millions de tonnes produite (c'est un volume tout à fait plausible) ;
- la valeur de ce stock à fin décembre 2018 avait été
réduite à 1,56 millions de $ (= un peu moins de 900 000 tonnes) => AMR
facture logiquement 14,6 millions de tonnes en 2018 mais la production réelle
de cette année 2017 est de 13,8 millions de tonnes ;
- la valeur de ce stock à fin décembre 2019 augmente de 3,8
millions de $ (= 2,2 millions de tonnes) pour atteindre 5,3 millions de $ (un
stock de 3 millions de tonnes) = AMR facture 18,6 millions de tonnes en 2019
mais la production réelle de l'année 2018 est de 20,8 millions de tonnes.
Est-ce qu’on ne peut
pas en déduire qu’il y a bel et bien eu fraude fiscale au détriment de l’Etat
guinéen de la part de la société AMR ?
Après avoir consulté des nombreux documents que l’enquête a
pu réunir, on peut être amené à nous interroger au sujet d’une possible fraude
fiscale dont se serait rendue coupable la société AMR au détriment de l'Etat guinéen.
A cet égard, les journalistes ont adressé aux Directions d’entreprises et personnes
concernées une série de questions restée sans suite de la part d’AMR.
Quels sont ces
questions restées sans réponse. Citez-nous-en ?
1- Nous avons pu consulter un contrat de prestation de
service daté de 2017 - ainsi que des documents attestant qu'il est toujours en
vigueur-, signé par AMR avec une société hongkongaise, Rock Ocean Limited. Il
apparaît que vous en êtes le directeur. Nous sommes étonnés que cette société,
dont les actionnaires sont les mêmes que les actionnaires ultimes d’AMR France,
ait été domiciliée à Hong Kong et qu'elle semble ne disposer ni de locaux, ni
d’employés. Comment expliquez-vous ce choix ?
2-Au-delà de cette domiciliation hongkongaise, la relation
commerciale entre ces deux sociétés comme la nature et les prix des prestations
réalisées nous interrogent. Afin de lever tous les doutes qui pourraient
exister sur la réalité des services fournis, pourriez-vous nous éclairer :
- sur la nature
des prestations de « contrôle » et « supervision » en matière de santé,
sécurité, social, pour plus de 4 millions de dollars par an, étant donné que
les engagements du PGES et la RSE d’AMR sont financièrement pris en charge par
la SMB ?
- sur la nature
de la « supervision » des contrôles qualité et quantité de la bauxite, dont les
prix indiqués dans l’accord et les services facturés laissent à penser que les
versements d’AMR à Rock Ocean Limited sont bien plus élevés que le coût réel de
ces contrôles effectuées par quelques laboratoires spécialisés – contrôles qui
par ailleurs semblent être pris en charge par l’entité guinéenne d’AMR ainsi
que par la SMB ? Ces contrôles ne sont-ils d’ailleurs pas pris en charge par
l'entité guinéenne d'AMR et par la SMB ?
3- Comment la société Rock Ocean Limited peut-elle facturer
des prestations de courtage en relation avec la commercialisation de la bauxite
alors que le permis d’AMR a été amodié et que la SMB se charge de la
commercialisation du minerai extrait ?
4- Pourriez-vous nous confirmer que la société Rock Ocean
Limited a fait l’objet d’une déclaration d’identité préalable auprès de
l’administration guinéenne, comme le prévoit l’article 8 du code minier
guinéen?
Fim FM