Pour mettre la main sur Claude Pivi, radié des effectifs de l’armée, dimanche 5 février au soir, les autorités guinéennes ne lésinent pas sur les moyens. Le militaire s'est évadé de prison samedi dernier après l'intervention d'un commando armé à la Maison centrale. Ses codétenus, dont l'ancien président Moussa Dadis Camara, étaient également sortis de leur cellule, avant d'être rattrapés par les forces de l'ordre. Tous sont actuellement poursuivis dans le procès du massacre du 28 septembre 2009 qui avait causé la mort de plus de 150 personnes et le viol d'une centaine de femmes à Conakry.
Les forces de défense et de sécurité, appuyées par les
forces spéciales d’unité d’élite de l’armée guinéenne, essentiellement composée
de la Garde présidentielle, se sont déployées à la recherche du fugitif Claude
Pivi.
Ce lundi 6 novembre, du lever au coucher du soleil, un
imposant dispositif militaire a été déployé dans les quartiers de Coléah,
Mafanco et Madina au sud de la capitale. Les militaires ont procédé à des
fouilles systématiques de plusieurs concessions, obligeant, par endroits, les
commerçants à fermer leurs boutiques.
Ces quartiers, traditionnellement acquis à l’ancien
président Alpha Condé, ont été soumis à un siège. Des dizaines de véhicules
pick-up de l’armée ont traversé les ruelles boueuses de ces quartiers sous les
regards, à la fois inquiets et médusés, des populations.
Des habitants de ces quartiers ont indiqué avoir été surpris
de voir cet impressionnant dispositif sécuritaire tout en ajoutant, même si ce
n’est pas ouvertement dit, « ils sont ici à la recherche de Claude Pivi ».
« Claude Pivi ne peut pas venir se cacher chez nous, même si
à un moment donné, il a travaillé avec le président Alpha Condé », dit
Nanfadima Magassouba, commerçante du quartier de Mafanco.
Un octogénaire assis sous un acacia explique que ce
déploiement militaire avec cet impressionnant arsenal « ne peut pas avoir
raison de Pivi qui a une protection mystique ». Pour son compagnon s’exprimant
en soussou, « Pivi s’est peut-être déjà transformé en chat noir ».
Poursuites
judiciaires
L'évasion rocambolesque de Claude Pivi et ses co-détenus a
conduit à des affrontements armés samedi, au moins neuf personnes ont été tuées
dans ces événements. Des faits pour lesquels les quatre détenus vont être
poursuivis en justice. Sur ordre du parquet général, le procureur militaire du
tribunal de première instance permanent de Conakry a en effet lancé des
poursuites contre l'ex-chef de l'Etat Moussa Dadis Camara, ses deux anciens
ministres, les colonels Moussa Tiegboro Camara et le fugitif Claude Pivi. Et
aussi contre le quatrième codétenu, le colonel Blaise Gomou.
En plus des accusations de meurtres, viols, ou encore
torture dans le procès du massacre du 28-Septembre, tous les quatre sont
désormais poursuivis pour assassinats, homicide involontaire et complicité.
Plusieurs autres personnes sont également poursuivies pour
les mêmes faits et plusieurs autres sont visées pour abandon de poste et
violation de consignes. Cela concernerait a priori les 58 officiers, soldats et
agents pénitentiaires radiés de l'armée et des forces de sécurité, suite aux
événements de ce week-end.
Cette opération commando et les affrontements qui ont suivi
ont tué au moins neuf personnes. Trois côté assaillants. Les forces de l'ordre
ont perdu quatre des leurs. Les affrontements ont aussi causé la mort de deux
civils. Ils étaient dans une ambulance, en intervention pour un accident de la
route, au moment où le véhicule a essuyé des tirs, qui ont atteint un infirmier
et une petite fille de six ans.
Avec cette tentative d’évasion, les victimes du massacre du
28 septembre 2009 s'inquiètent pour la suite du procès
Le procès du massacre du 28 septembre 2009, qui avait causé
la mort de plus de 150 personnes et le viol d'une centaine de femmes à Conakry,
s'est ouvert il y a un peu plus d'un an, avec une envergure historique puisque
c'est la première fois qu'un ancien président et les membres de son
gouvernement sont poursuivis pour des crimes de sang.
Les victimes espèrent néanmoins que ces événements du week-end
du 4-5 novembre 2023 n'empêcheront pas la bonne suite du procès.
« S’il n’est pas
retrouvé, comment ça va se passer ? »
Le gouvernement de transition l'a de son côté assuré : la
tentative d'évasion de samedi dernier ne remettra pas en cause la bonne
poursuite du procès et que justice soit rendue.
Il y a une dizaine de jours, le tribunal annonçait la fin
des auditions des victimes : 106 d'entre elles ont défilé à la barre pour
témoigner des tortures et violences sexuelles subies le 28 septembre 2009.
Asmaou Diallo, présidente de l'Association des victimes,
parents et amis du 28-Septembre, explique au micro de Sidy Yansané : « Il y en
a beaucoup qui sont là, qui avaient toujours manifesté leur désir de témoigner,
et qui continuent à le réclamer. Comme le président du tribunal a annoncé la
dernière comparution des victimes, on s’est dit que c’était fini, mais comme il
y a de nouveaux inculpés, peut-être que des victimes pourront revenir, on ne
sait pas. On attend de voir la suite et on suit aussi l’évolution des choses
avec nos avocats. Mais qu’à cela ne tienne, ça nous donne vraiment une
frustration parce qu’on se demande quelle sera la suite des choses. S’il n’est
pas retrouvé [Claude Pivi, NDLR], comment ça va se passer ? »
Peur de représailles
Car entre le massacre de 2009 et l'ouverture du procès l'an
dernier, certains des principaux accusés, dont Claude Pivi, toujours en fuite
depuis son évasion, sont restés ministres et ont gardé toute leur influence. De
quoi faire craindre des représailles aux potentiels témoins. Des inquiétudes
légitimes, d'après le ministère public dont des membres annonçaient pendant les
audiences avoir été menacés par l'entourage des accusés.
Radio France Internationale
(RFI)