Un juge en fonction au Tribunal de Première Instance de Labé est suspendu par le ministre de la Justice pour « insuffisance professionnelle » sur le fondement de l’article 38 du Statut des magistrats.
Cet article permet en effet au Garde des Sceaux de suspendre pour un délai de trente jours un magistrat auquel il est reproché une faute disciplinaire, en attendant une décision du Conseil supérieur de la magistrature, organe disciplinaire des avocats, qui doit être obligatoirement saisi dans le délai ci-dessus indiqué. Selon le Statut des magistrats, l’insuffisance professionnelle est assimilable à une faute disciplinaire.
Le motif de
cette mesure est indiqué dans l’arrêté n°3686 du 16 août 2023 du ministre de la
Justice que l’on peut résumer en quelques mots.
Une
justiciable est jugée pour abus de confiance et faux en écriture. Puisqu’elle
n’avait pas été placée en détention provisoire avant le procès, elle comparaît
libre à l’audience.
Le 25
juillet 2023, le juge rend une décision qui la condamne à un an
d’emprisonnement dont dix (10) mois assortis de sursis. Ce qui veut dire que
sur les 12 mois d’emprisonnement, seulement dix (10) mois sont assortis de
sursis. Deux mois sont fermes. Elle devait donc aller en prison pour purger
deux (2) mois de prison. Le juge prend donc un mandat de dépôt contre elle à
l’audience pour les deux mois de prison ferme. Le mandat de dépôt est le titre
en vertu duquel elle doit être détenue. Sans ce titre, un établissement
pénitentiaire ne devrait pas la recevoir à plus forte raison, la détenir.
C’est là que
commencent les ennuis du juge. Le Garde des Sceaux considère que le juge a
violé les dispositions de l’article 537 du CPP ou en a fait une mauvaise
application. Il faut relever que cet article renvoie à l’alinéa 1er de
l’article 535 du CPP qui dit que « si le tribunal estime que le fait constitue
un délit, il prononce la peine »
L’article
537 du CPP s’applique à un prévenu qui comparaît libre, c’est-à-dire qui
n’avait pas été placé sous mandat de dépôt avant de comparaître devant le
tribunal pour être jugé. Ce texte permet au juge de décerner mandat de dépôt
contre ce prévenu. Pour cela, les conditions suivantes doivent être réunies :
1- Il doit
s’agir d’un délit de droit commun ;
2- La peine
prononcée doit être au moins de 6 mois d’emprisonnement.
Il est
important de préciser que la loi n’a pas dit « la peine prévue », mais « la
peine prononcée ». « La peine prévue » est du ressort du législateur
tandis que la « peine prononcée » est du ressort du juge. Le législateur
prévoit une peine ; le juge prononce une peine.
3- Le juge
doit rendre une décision spéciale et motivée. Cela veut dire que lorsqu’il a
retenu la culpabilité, il doit, en décernant mandat de dépôt, prendre une
décision spéciale et motivée.
Le juge
suspendu a prononcé une peine d’un an emprisonnement dont dix (10) mois
assortis de sursis. Cette peine est donc supérieure au minimum prévue par
l’article 537 du CPP. Il avait donc le pouvoir de décerner un mandat de dépôt
contre cette dame, sous réserve du respect des deux autres conditions y
afférentes.
On peut dire
que le problème vient de la confusion entre « peine prévue » et « peine
prononcée ».
L’appréciation
de la possibilité pour le juge de décerner un mandat de dépôt, conformément à
l’autre 537 du CPP, ne devrait pas se faire en fonction de la partie de la
peine non assortie de sursis (deux mois) mais de la peine globale d’un an,
peine supérieure à six (6) mois.
Au regard de
ce qui précède, le juge concerné et l’Association des magistrats de Guinée ont
bien raison de considérer que la suspension n’est pas fondée. C’est pourquoi,
le ministre de la Justice gagnerait à rapporter son arrêté pour éviter une
crise inutile au secteur de la justice où il existe depuis quelque temps un
climat délétère. Il n’y a aucune honte à admettre qu’on s’est trompé. Mieux, il
est sage parfois d’avoir tort avec tout le monde que d’avoir raison seul.
Maître Mohamed Traoré, Ancien Bâtonnier