À la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le président Muhammadou Buhari du Nigeria a déclaré, en fin de semaine dernière [vendredi 24 septembre], que les acquis démocratiques de ces dernières décennies, en Afrique de l’Ouest, s’effritaient peu à peu, avec le retour des coups d’État, dont certains sont motivés par les changements unilatéraux de Constitution, initiés pour supprimer la limitation des mandats. Ce discours de franchise n’est-il pas admirable ?
Admirable, peut-être. Mais, dans la suite de ce petit
paragraphe de son discours, l’admirable et le déplorable s’enchevêtrent quelque
peu. L’Afrique de l’Ouest, à une petite exception près, était, jusqu’à il y a
peu, presque plaisante à voir, à la différence du troublant tableau que présente
l’Afrique centrale, où cinq chefs d’État totalisaient, avant la mort du
maréchal Deby, plus de deux cents ans au pouvoir.
Les constats du président Buhari sont justes : entre les
manipulations douteuses des Constitutions, la propension de certains politiciens
à recourir à la rue pour se faire la courte échelle vers un pouvoir qu’ils
peinent à conquérir dans les urnes, tous les ingrédients sont réunis pour
rendre le terreau fertile à des putschistes en puissance qui, sans broncher,
assistaient, au garde-à-vous, aux excès des privilégiés du pouvoir.
Ces signaux d’alerte
ont-ils pu échapper au président Buhari ?
Non ! Comme les plus sérieux de ses pairs, il savait et
pouvait agir, intervenir pour empêcher ces putschs prévisibles. Et tous
invoqueront la souveraineté des États, pour justifier d’avoir laissé faire.
Mais de quelle souveraineté s’agit-il, lorsque les défaillances de ces États
sur des pans entiers de leurs frontières, laissent le champ libre aux
jihadistes, parfois sur plus d’un millier de kilomètres, pour frapper, quand
ils veulent, chez le voisin ? C’est de responsabilité qu’il s’agit, ici. Il ne
sert à rien d’aller tenir à l’Onu un langage de vérité, si l’on n’a pas été
capable de prévenir un homologue qui s’égarait. Alpha Condé devrait leur en vouloir
de l’avoir laisser couler à pic !
Et lorsque le président Buhari réaffirme le soutien du
Nigeria aux décisions prises par la CEDEAO et l’Union Africaine contre les
putschistes, l’on se demande ce que peuvent bien peser ces décisions
qu’ignorent superbement les putschistes.
Le plus préoccupant est que ce leadership vacillant est tout
de même celui de la première puissance africaine, qui rêve d’occuper au Conseil
de Sécurité de l’Onu, un éventuel siège permanent dévolu à l’Afrique.
Le Nigeria a pourtant
bien assumé son leadership, par le passé…
Oui ! Mais, le leadership d’une nation n’est pas gravé de
manière immuable dans le marbre. Le Nigeria a perdu beaucoup de son influence
ces dernières années, et cela date de bien avant l’accession du président
Buhari au pouvoir. Il faut se mettre à rebâtir, et ne pas donner l’impression
de seulement gérer les affaires courantes, sans aucune initiative du niveau,
audacieux, de celle qui a permis, en 1975, la création de la CEDEAO.
Que manque-t-il, pour
un leadership efficient en Afrique de l’Ouest ?
D’abord, des dirigeants d’envergure, au diapason des
aspirations réelles de leurs peuples. Il faut une masse critique d’États et de
dirigeants crédibles, sérieux, suffisamment fermes, pour dissuader les
velléités putschistes d’hommes en armes qui se sentent suffisamment libres de
renverser des chefs d’État élus, sous des prétextes parfois aussi approximatifs
que leurs discours.
Il est temps de traiter et les causes et les conséquences.
Ne pas tolérer les retouches de convenance d’une Constitution pour s’octroyer
un troisième mandat, puis venir ensuite condamner un putsch qui en résulterait.
C’est une question de crédibilité, vis-à-vis des citoyens qui subissent des
dirigeants parfois indignes et arrogants.
Jean-Baptiste Placca
(RFI)