La réunion sur le Mali du Conseil de sécurité de l'ONU a donné lieu mardi
à une scène pour le moins inhabituelle dans cette enceinte, avec des échanges
très virulents entre le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye
Diop, et l'ambassadeur français Nicolas de Rivière. Le premier a répété les
accusations qu'il lance depuis le 15 août dernier : selon lui, la France
fournit des armes et des renseignements aux groupes jihadistes au Mali.
« Accusations graves, mensongères et diffamatoires », a répondu le
second. Une situation à la fois violente et cocasse, puisque la France attend
des preuves, et que le Mali demande à pouvoir les dévoiler... sans saisir
l'occasion de le faire.
« Pourquoi ne parle-t-il pas ? C'est la
preuve... qu'il n'a pas de preuve ! » Pour cet observateur averti de
la politique malienne, qui résume la pensée de beaucoup d'autres, le fait qu'Abdoulaye
Diop n'ait pas révélé les éléments dont il assure disposer alors qu'il
s'exprimait enfin devant le Conseil de sécurité – ce qu'il réclame depuis deux
mois – est un aveu.
« Le dossier est vide »
« Il pouvait le faire hier,
il pourrait avoir déjà communiqué ses preuves au Conseil, il pourrait même
organiser une simple conférence de presse, fait remarquer un autre, il n'y a
pas besoin de réunion spéciale au Conseil de sécurité ! Ça montre que le dossier
est vide ! »
Le chef de la diplomatie malienne
a réitéré ses lourdes accusations sans les étayer. Surtout, il accuse la France
de « bloquer » la tenue de la réunion spéciale qu'il exige. Ce qui
est faux, mais cela tourne déjà sur les réseaux sociaux. Paris ne bloque rien,
et n'en a en fait même pas le pouvoir : si la demande de réunion était relayée
par l'un des quinze membres du Conseil de sécurité, elle serait automatiquement
planifiée. Mais à ce jour, aucun de ces quinze pays, parmi lesquels la Russie,
la Chine, et trois pays africains – le Gabon, le Ghana et le
Kenya – n'a jugé utile de le faire.
Habileté du ministre malien
Abdoulaye Diop va même plus loin,
puisqu'il demande à présent à la France elle-même de porter cette demande.
« Un non-sens humiliant », jugent certains, le Mali en étant réduit à
demander l'aide de celle qu'il accuse. « Très habile », jugent
d'autres, puisque Abdoulaye Diop semble ainsi jeter la balle dans le camp de la
France, en disant en substance : « Si vous n'avez rien à cacher,
montrez-le ! »
En droit, c'est pourtant à
l'accusation que revient la charge de la preuve, la défense étant ensuite
sommée de répondre. De source diplomatique, Paris n'envisage pas à ce stade de
porter la demande malienne : « Il n'y a aucune raison ! On ne va pas
leur donner une tribune pour qu'ils répètent leurs accusations complotistes, s'agace
cette source, qu'ils présentent leurs preuves et on verra si les membres du
Conseil de sécurité les jugent suffisamment convaincantes pour demander cette
réunion ! »
« Cadre approprié »
Au ministère malien des Affaires
étrangères, on explique que « ce n'était ni le format, ni l'ordre du jour
de la réunion d'hier », qui était effectivement consacrée au rapport
trimestriel du secrétaire général des Nations unies sur le Mali. Pourquoi ne
pas saisir l'occasion tout de même, pourquoi ne pas faire ces révélations
ailleurs ? « La position du Mali, c'est que le cadre approprié est une
réunion spécifique du Conseil de sécurité. » À Bamako, comme à New York,
les sources maliennes n'apportent pas de précision supplémentaire.
Silence de la Russie
Ultime question : pourquoi le
Mali ne sollicite-t-il pas la Russie, membre permanent du Conseil, jusqu'ici
parfaitement silencieuse sur le sujet et qui, en tant que nouvelle alliée
stratégique du Mali dans la lutte antiterroriste, aurait intérêt à soutenir le
Mali et à prouver le double jeu supposé de la France ? Cette question demeure
sans réponse. Pendant ce temps, la France en est réduite à dénoncer des « mensonges »,
et le ministre malien parvient à focaliser l'attention, des citoyens maliens
comme des médias internationaux, avec de simples affirmations. Créer la
polémique et adopter des postures souverainistes, une stratégie devenue
classique pour les autorités maliennes de transition.
Lettre du 15 août
Dans la lettre que le ministre
malien des Affaires étrangères avait adressée au Conseil de sécurité de l'ONU
le 15 août dernier, Abdoulaye Diop dénonçait deux choses : d'abord, des « violations
répétitives et fréquentes de l’espace aérien malien par les forces françaises »
: « drones, hélicoptères ou avions de chasse » auraient survolé le
Mali « sans autorisation » de Bamako. Une accusation étayée, une
cinquantaine de cas auraient été enregistrés et les plus flagrants ont été
listés et transmis par Bamako au Conseil de sécurité.
Paris conteste toute « violation »
et dénonce une tentative de « désinformation. » Il y a aussi un
différend juridique autour de la dénonciation par le Mali des accords de
défense qui liaient les deux pays et sur la légalité des actions menées entre
cette dénonciation, c'était au mois de mai, et le départ de la force Barkhane,
qui s'est achevé à la mi-août, mais là au moins les éléments factuels sont
connus. Ensuite, dans cette même lettre, le ministre malien affirme que ces
incursions ont « servi à la France pour collecter des renseignements au
profit des groupes terroristes » « et pour leur larguer des armes et
des munitions ».
En clair, la France aiderait
al-Qaïda ou le groupe État islamique au Mali. Mais contrairement à la première
accusation, et sans que l'on comprenne pourquoi, celle-ci n'est absolument pas
documentée dans la lettre du ministre malien Abdoulaye Diop, qui demande une
réunion spécifique au Conseil de sécurité pour en faire part. Ce sont les
« éléments de preuve » qu'il affirme détenir depuis deux mois qui
sont aujourd'hui attendus. Aussi bien en France qu'au Mali.
Rfi