Évaluer le patrimoine de l’État constitue un véritable casse-tête chinois. Et des experts du Fonds Monétaire International (Fmi) l’ont appris à leurs dépens, lorsqu’en 2018, ils avaient été commis par le gouvernement guinéen à procéder à une évaluation des investissements publics. Dans son rapport publié à cet effet, le Fonds aurait relevé que la Gestion des Investissements Publics en Guinée était peu efficiente. Le manque d’harmonisation entre les plans de passation des marchés et les délais de paiement, ainsi que les difficultés à évaluer le patrimoine public sont, entre autres, insuffisances relevées dans ce rapport, qui en dit long sur l’incurie de nos dirigeants. Mais comme à l’accoutumée, le Fonds ne se contente pas que de mettre le doigt sur la plaie, l’institution propose dans la même foulée, des pistes de solutions pour remettre nos entreprises publiques à flot.
Sur 150 établissements publics administratifs de l’État recencés, seule une dizaine serait dans les normes, sur le plan statutaire…
Ces établissements publics sont chapeautés par la Direction Nationale
du Patrimoine de l’État et des investissements Privés. Pouvez-vous dire à
l’attention de nos auditeurs, ce qui est prévu en termes d’innovation de ces
EPA ?
D’une reforme à l’autre, on en
est arrivé à ce que la Direction Nationale du Patrimoine de l’État et des
investissements Privés, qui est sous l’autorité du Ministre en charge de
l’Économie et des Finances, qui gère la politique du gouvernement en matière de
gestion du patrimoine dans huit établissements publics à caractère Industriel
et Commercial (EPIC), qui sont en cours de transformation juridique en SP ou en
EPA. Ceux-ci évoluent dans les secteurs des transports, du tourisme, de
l’habitat, de la santé et de l’industrie.
Votre enquête permet d’avoir une lecture sur les établissements publics
en termes d’actionnariat de l’Etat guinéen. Comment se présente ce
tableau ?
La direction la Direction
Nationale du Patrimoine de l’État et des investissements Privés a aussi autorisé
sur les 28 Sociétés publiques (SP), constituées essentiellement d’entreprises
publiques dont le capital est détenu à 100% par l’État.
Celles-ci évoluent dans les
secteurs de l’hydraulique, de l’énergie, des mines, des télécommunications, des
transports, de l’Agriculture et de l’Habitat.
Mais aussi dans le portefeuille
du patrimoine de l’État, on décompte huit sociétés mixtes (SM) qui sont celles
dont le capital est détenu au moins à 50% par l’État. Elles évoluent dans les
secteurs de l’agriculture, des mines, des transports, des télécommunications et
de l’habitat.
Dans le portefeuille de l’Etat,
il y a aussi une dernière catégorie qui est celle de sociétés à participation
publique (SAPP) ?
Oui, tout à fait. Dans le
portefeuille du patrimoine guinéen, il y a aussi les sociétés à participation
publique (SAPP) qui sont celles dans lesquelles l’État a une participation
minoritaire parfois moins de la minorité de blocage. Elles sont au nombre de 24,
évoluant dans les secteurs des banques, assurances, du commerce, de
l’industrie, des mines, du tourisme, des transports, des télécommunications et
de la pêche.
Nous allons à présent aborder cette évaluation de la gestion des
investissements publics, faite par le FMI en 2018, à la demande du
gouvernement. Qu’est-ce qui avait motivé une telle option ?
En réponse à la demande des
autorités guinéennes, une mission menée par le Département des finances
publiques (FAD) du Fonds Monétaire International (FMI) et comprenant les
représentants de la Banque Mondiale (BM), a séjourné à Conakry du 3 au 17 mai
2018, afin de procéder à l’évaluation de la gestion des investissements
publics, suivant la méthodologie révisée d’avril 2018 PIMA (Public Investment
Management Assessment).
J’imagine que la quintessence du
rapport du Fonds sur la gestion des investissements publics était à charge
sur l’incurie de notre gouvernance ?
En mars 2019, le FMI a rendu son
rapport n°19/82 portant évaluation de la gestion des investissements publics
qui a abouti à l’observation comme quoi la Gestion des Investissements Publics
en Guinée est peu efficiente si on la compare à certains de ses pairs.
L’écart d’efficience de la Guinée,
calculé relativement à la frontière d’efficience déterminée par les pays les
plus performants s’élève à environ 50 %. Cet écart est plus important que
l’écart moyen d’efficience qui est de 40 % pour les pays de l’ASS (Afrique Sub-saharienne)
et d’environ 30 % pour l’ensemble des pays du monde.
Le gouvernement guinéen multiplie la signature de contrats à tour de
bras, avec la plupart sur entente directe. Sauf que ces projets financés par le
BND sont exécutés sans aucune rigueur, en termes de normes en la matière, comme
le souligne le rapport du FMI ?
Sur la planification et
affectation des ressources, la Guinée a récemment signé une vingtaine de
contrats PPP (Partenariat public privé) par entente directe alors que leur
encadrement institutionnel n’est pas finalisé. Ce qui constitue des sources de
risques financiers potentiels qui, par ailleurs, ne sont pas évalués. La
plupart des grands projets financés sur ressources propres dans les budgets
2017 et 2018 n’ont pas fait l’objet
d’évaluations économiques et financières, et leur sélection n’est pas rigoureuse,
affaiblissant ainsi leur qualité.
L’autre lacune que votre enquête a permis de relever, est cette
dichotomie entre les budgets de fonctionnement et les budgets
d’investissement ?
La procédure de fixation des
plafonds annuels/pluriannuels des dépenses en capital par ministère n’est pas
effective, fragilisant ainsi leur bonne priorisation. A cela s’ajoute la tenue
séparée des conférences budgétaires entre les budgets de fonctionnement et les
budgets d’investissement, source d’anomalies dans les classifications des
dépenses.
Le rapport des experts du Fonds déplore le laisser-aller qui entoure
l’exécution du budget en termes de dépenses d’investissement. Éclairez-nous sur
ce pan de ce rapport qui contredit tout ce que l’exécutif nous sert à
longueur de temps ?
Les dépenses d’investissement
sont insuffisamment protégées durant l’exécution du budget. On en vient à
suggérer que le financement des projets en cours peut discontinuer au profit
des projets nouveaux. Le budget fournit un cadre pour enregistrer les dépenses
d'entretien, mais il n'existe pas de méthodologie standard pour estimer et
programmer ces dépenses, entrainant leur sous-budgétisation, et in fine la
dégradation des actifs.
Manque d’harmonisation entre les plans de passation des marchés et les
délais de paiement, est entre autres insuffisances relevées dans ce rapport.
Preuve que notre administration n’a toujours pas intégrer l’esprit du
changement promis par le président ?
Le rapport du FMI note en plus
que les plans de passation des marchés et de gestion de la trésorerie sont
insuffisamment harmonisés, et aucun délai n’est fixé pour le paiement effectif
des dépenses à la Banque centrale de la République de Guinée, entrainant des
retards de paiements et ralentissant l’exécution des projets.
La règlementation est
insuffisante pour un suivi efficace et un examen ex-post des projets financés
sur ressources propres de l’État, mais permet des transferts de crédits qui
sont opérés entre projets. La gestion de l’exécution des projets fait l’objet
d’ajustements qui ne sont pas standardisés et l’audit ex post des grands
projets d’investissement (y compris pour certains projets financés par les
PTFs) n’est pas effectif.
Le patrimoine de l’Etat guinéen est sous-évalué, à cause de non
exhaustivité des registres d’actifs. C’est là malheureusement l’une des tristes
réalités auxquelles l’équipe d’enquête a été confrontée ?
Le Fonds s’est heurté à un patrimoine
de l’État Le rapport du FMI précise que la connaissance du patrimoine de l’État
est difficile, faute d’un cadre normatif détaillé et opérationnel non finalisé.
Les registres d’actifs ne sont pas exhaustifs, les états financiers ne font
apparaître ni la valeur des actifs non financiers, ni l’amortissement des
immobilisations.
Le rapport du FMI précise que la
connaissance du patrimoine de l’État est difficile, faute d’un cadre normatif
détaillé et opérationnel non finalisé. Les registres d’actifs ne sont pas
exhaustifs, les états financiers ne font apparaître ni la valeur des actifs non
financiers, ni l’amortissement des immobilisations.
A présent, dites-nous en termes de recommandations, que propose le
FMI en termes de remèdes, susceptibles de remettre le patrimoine de l’Etat
en flot ?
Selon les examinateurs, si la
Guinée tient à tirer des bénéfices plus importants du niveau croissant de ses
dépenses en capital, les autorités doivent s’employer à corriger les faiblesses
de la Gestion des Investissements Publics et en améliorer l’efficience. A cet
effet, il est impératif de renforcer le cadre normatif et procédural des PPPs.
En particulier il conviendrait de plafonner les engagements explicites des PPP
et ouvrir à la concurrence les offres spontanées. Mettre en place un processus
d’expertise et de validation des études, renforcer les critères de sélection. A
cet effet, il conviendrait à court terme de (1) mettre au point des critères rigoureux
pour la sélection et la hiérarchisation des projets ; et (2) cesser d’inclure
dans le budget des propositions de projet non accompagnées d’études de
faisabilité à compter du projet de loi de finances pour 2020.
Un accent a été mis également sur le renforcement de la budgétisation
de l’investissement et le financement des activités d’entretien, à court terme ?
Il faudra ensuite renforcer la
budgétisation de l’investissement et le financement des activités d’entretien
et de maintenance. Il conviendrait d’appliquer en particulier les autorisations
pluriannuelles pour les dépenses d’investissement et tenir des conférences
budgétaires uniques pour les budgets de fonctionnement et d’investissement à
compter du projet de loi de finances 2020.
Pourquoi ne pas faire un état des lieux des projets exécutés depuis 10
ans en arrière ?
J’en viens M. Diallo. Il y a
d’abord l’amélioration de la disponibilité du financement des investissements,
à travers une harmonisation des plans de passation des marchés et de gestion de
la trésorerie (y compris le compte unique du trésor (CUT) et une fixation des
délais de paiement par la BCRG. Mais surtout l’opérationnalisation du
dispositif de suivi, de gestion et d’examen ex post des projets d’investissements.
À court terme, les réformes qui
s’imposent consisteraient à (1) faire immédiatement le point sur tous les
projets en cours depuis au moins 10 ans, avant d’en poursuivre le financement
dans la loi de finances pour 2020 ; (2) préparer un rapport semestriel/annuel
physico-financier consolidé de mise en œuvre des grands projets ; et (3) préparer
et examiner systématiquement les rapports d’achèvement des grands projets.
La valorisation des actifs doit passer impérativement aussi par un
suivi régulier ?
Renforcer le suivi des actifs
publics, en poursuivant les travaux d’actualisation en cours du registre des
biens immobiliers de l’État et en opérationnalisant, dans des fiches
techniques, le recueil des normes comptables de l’État, afin de préparer la
valorisation des actifs.
Les recommandations ci-dessus
développées et des actions associées du plan d’actions détaillé se rapportant à
la budgétisation, la gestion de la trésorerie et la comptabilité publique ont
vocation à alimenter le plan d’actions 2019-22 de la GFP que les autorités
envisagent de préparer sur la base des résultats du rapport final PEFA (Public
expenditure and financial acountability).
Enquête Mirador