Après Bah Oury, la semaine dernière, deux parties civiles ont été entendues au cours des trois derniers jours de ce procès historique. Il s’agit d’abord de Yayé Fatou Barry. Puis, elle sera suivie par François Lounceny Fall qui a fait un exposé cohérent des évènements.
Yayé Fatou
Barry est née en 1969 à Fria. Elle dit s'être constituée partie civile dans ce
dossier pour avoir été victime de coups et blessures au Stade du 28 septembre
en 2009. Ce jour, a-t-elle rappelé, c'est à 6h du matin qu'elle a bougé de chez
elle pour le domicile de son leader, François Lounceny Fall à Taouyah corniche.
En compagnie donc du président du parti FUDEC, elle s'est rendue au stade. Yaye
Fatou a témoigné qu'au moment où les discours se tenaient, des agents des
forces de défense et de sécurité y ont fait irruption. Elle dit avoir subi
alors toutes sortes de bastonnades. Elle a eu la vie sauve grâce à un jeune
mécanicien de son quartier qui a pu la tirer des griffes de ses agresseurs qui
tentaient de la conduire dans la salle de basket du Stade, probablement pour la
violer, selon elle.
Yayé Fatou Barry qui dit ignorer
l’identité de ses agresseurs, a expliqué la péripétie qu’elle a connue dans le
cadre de son hospitalisation après avoir été blessée.
Suite à la
bastonnade dont elle dit avoir été victime, Yayé Fatou Barry est tombée malade.
Et dans le cadre de son hospitalisation, elle est passée à l'hôpital Donka où
elle a refusé toute prise en charge à cause des agissements du colonel Chérif
Diaby, ex ministre de la Santé qui, très déchainé, selon elle, malmenait des
victimes. Elle est aussi passée à la clinique de l'ambassade de France avant
d'être évacuée sur Dakar. Elle n’est toujours pas guérie. Elle ne voit plus
bien et n'est plus apte à conduire la voiture. A cause de sa mésaventure, sa
maman qui habitait chez elle est décédée prématurément, a relaté Yayé Fatou
Barry en pleurs à la barre. Elle dit avoir porté plainte contre tous les
membres du CNDD. Et à titre des dommages et intérêts, elle réclame 500 mille
euros.
Mardi après son interrogatoire, Yayé
Fatou Barry a été succédée à la barre par François Lounceny Fall.
L’ancien
premier ministre est également partie civile dans ce dossier. Mais avant de
retracer le film des évènements du 28 septembre, il a révélé qu’il attendait
impatiemment ce procès depuis 13 années. Cet ancien acteur politique a aussi
précisé qu'il ne comparaît pas pour accuser certains ni pour en disculper
d’autres. Il a informé qu'il témoigne par devoir vis-à-vis des victimes qui ont
perdu la vie ou qui ont été violées au stade. Pour amorcer le vif du sujet,
Lounceny Fall a rappelé que le meeting du 28 septembre 2009 a été organisé par
les Forces vives nationales pour s'opposer à la candidature des membres du CNDD
à l’élection présidentielle. Dans la matinée du 28 septembre, il dit avoir reçu
des militants de son parti à son domicile à Taouyah corniche. De là, a expliqué
l’ancien ministre des affaires étrangères, il a rejoint Sidya Touré. Les deux
cheminent ensemble, chacun dans son véhicule pour rallier le domicile de Jean
Marie Doré à Donka. C’est ainsi que les leaders excepté Jean Marie Doré qui
devait recevoir une délégation des religieux, prennent la route du stade à
pieds. Au niveau de la FONDIS, ils ont croisé le colonel Moussa Tiegboro Camara
et son équipe. Il y a eu des disputes autour de la nécessité du report de la
manifestation. Entre-temps, les manifestants étant venus en grand nombre,
Tiégboro et ses hommes ont cédé le passage aux leaders.
A l’intérieur du stade, c’est une
atmosphère bon enfant qui a subitement tourné au désastre.
Portés en
triomphe dans l’enceinte sportive et ovationnés par les manifestants, les
leaders ont à peine, prononcé quelques phrases au titre de leur déclaration de
rejet d’une éventuelle candidature des membres du CNDD. Soudain, a expliqué
l’ancien diplomate, ils ont entendu des crépitements d'armes à l’extérieur
suivis d’une nuée de gaz lacrymogène qui a envahi le stade. « Le stade était
inondé de gaz lacrymogène. Nous étions à la tribune. Mais de là où nous étions,
nous n'arrivions plus à respirer. C'était ma première expérience avec l'odeur
ocre, sulfureuse du gaz lacrymogène », s’est-il souvenu à la barre. Puis, les
militaires font leur entrée et commencent à tirer. Dans le lot, François
Lounceny Fall dit avoir reconnu le commandant Aboubacar Sidiki Diakité dit
Toumba. « Vous ne pouvez pas imaginer, une foule dans un endroit fermé, les
portails tenus par les militaires, avec des murs hauts. Des jeunes escaladaient
les murs et tombaient. J'ai vu des jeunes tomber sur la pelouse quand des
militaires tiraient sur eux », a témoigné le diplomate d’une voix émouvante.
Pour avoir vu beaucoup de jeunes tombés sous les balles et des femmes violées,
l'ancien premier ministre estime que le nombre officiel de victimes est en deçà
de la réalité. Par rapport à l'existence des fosses communes, Lounceny Fall dit
avoir appris qu'il en existait au camp Alpha Yaya Diallo. Il a confié également
qu'au lendemain du 28 septembre 2009, les domiciles des leaders des Forces
vives de la nation comme Cellou Dalein Diallo, Jean Marie Doré, Sidya Touré ont
été pillés par des militaires.
François Lounceny Fall est aussi
revenu sur les agressions dont les leaders ont été particulièrement victimes au
stade.
Selon
François Lounceny Fall, lorsque certains agents tiraient sur la foule, d’autres
s’en prenaient aux leaders politiques au niveau même de la tribune. « C'est en
ce moment que nous avons vu le commandant Toumba monter les escaliers. Arrivé à
notre niveau, il a dit où sont les leaders ? Dès que nous nous sommes levés,
les militaires qui étaient derrière lui, que je considère comme étant le groupe
de Marcel, se sont emparé de nous », a-t-il précisé. C’est là qu’ils reçoivent
les premiers coups violents. Comme lui, Sidya en a reçu sur sa tête. C'est le sauve-qui-peut
pour descendre de la tribune. Tout en assaillants à leurs trousses. Sur la
pelouse, il dit avoir vu Cellou Dalein Diallo entre les mains d’au moins 7
militaires, en train de l'étranger littéralement, affirme le président du
FUDEC.
François Fall a confirmé que parmi
les leaders agressés, certains ont été sauvés par le commandant Aboubacar
Sidiki Diakité dit Toumba.
Pendant que
les agressions se poursuivaient, Toumba s’est interposé. « Difficilement, il
nous a extraits et nous a demandé de le suivre. C'est ainsi que nous sommes
sortis de l'intérieur du terrain de football. Nous l'avons suivi, mais nos
assaillants nous poursuivaient toujours. Arrivés, au niveau du palais des
sports, on a vu des militaires en train de déshabiller des femmes, en train de
les battre », a-t-il témoigné. Ils ont ensuite continué jusqu'à l'esplanade du
stade où ils ont aperçu Jean-Marie Doré, le porte-parole des Forces vives,
défait de son costume et de sa cravate, battu à sang. Toumba les a embarqués
dans son véhicule, lui, Jean Marie Doré, Mouctar Diallo et Sidya Touré. «
Lorsqu'il nous a embarqués dans son véhicule, ça doit être une Jeep, il est
reparti en courant vers le stade nous laissant dans le véhicule. Pendant ce
temps, Marcel et ses soldats tournaient autour du véhicule. Il proférait des
menaces. A un certain moment, il a donné un violent coup de matraque à Sidya
Touré. C'était en plein visage. Sidya lui a dit : "mais qu'est-ce que je
t'ai fait ?" Il a répondu que : "nous allons vous tuer tous" »,
a relaté l’ancien Secrétaire général à la présidence de la République sous
Alpha Condé. Revenu vers eux, Toumba a démarré le véhicule pour les amener à
vive allure à Ambroise Paré. A cette clinique, ils ont été accueillis par des
médecins. C'est à ce moment qu’ils ont vu Marcel surgir en présence de
Tiegboro, a confié Fall au tribunal.
Devant la clinique Ambroise Paré, il
y a eu des altercations entre Marcel Guilavogui et Toumba Diakité au sujet de
l’hospitalisation des leaders blessés, a témoigné l’ancien diplomate.
François
Lounceny Fall a expliqué que c’est à la clinique Ambroise Paré que lui et ses
compagnons ont su que c’est Marcel qui les battait à l'intérieur du stade,
parce que Toumba l'appelait par son nom. « Ils ont eu une longue discussion. Après,
Toumba l'a tiré vers un côté. Ils parlaient tout en marchant. Marcel tenait à
ce qu'on nous amène au camp Alpha Yaya et Toumba tenait à ce qu'on soit à la
clinique. Toumba n'a pas réussi à le contenir et il est venu vers nous. Le
commandant Tiegboro a aussi essayé timidement d'intervenir auprès de Marcel. Ça
n'a pas marché », dit-il. Par la suite, accable-t-il, Marcel a sorti une
grenade pour menacer de faire exploser la clinique si les blessés étaient reçus
dans cette structure hospitalière. A cause de cette menace, Toumba les a
réembarqués pour la ville d’abord à l'état-major de la Gendarmerie, puis à la
Clinique Pasteur, où ils ont été rejoints dans la soirée par Cellou Dalein
Diallo qui avait des côtes cassées, a informé l’ancien Premier ministre. Plus
tard, a confié Lounceny Fall, lui, Mouctar Diallo et Sidya Touré qui étaient
légèrement blessés ont rejoint leurs domiciles respectifs en laissant Cellou
Dalein et Jean-Marie Doré à la clinique.
Sur le refus d’Alpha Condé d’organiser le procès des événements du 28 septembre sous son magistère, François Lounceny Fall confirme qu’il n’a jamais senti de volonté politique chez lui.
Pourquoi Alpha Condé a refusé d'organiser le procès des événements du 28 septembre ? La question a été posée ce mercredi, 29 mars à François Lounceny Fall à la barre. « S’il me l'apprenait, ce serait bien », a-t-il répondu. Est-ce que vous savez que Toumba a déclaré sur les médias le 11 juin 2016 qu'Alpha Condé lui doit 9 milliards de francs guinéens par rapport au rôle qu'il a joué dans les évènements du 28 septembre ? A de nouveau interrogé Me Lazare Gbilimou, un des avocats de la défense. « Toumba est entre les mains de la justice. Qu'il explique ! Moi je ne suis pas au courant de ça », a réagi l'ancien premier ministre. Pour l'avocat, cette créance explique le refus manifeste du gouvernement auquel Fall a appartenu sous Alpha Condé, d'organiser le procès des événements du 28 septembre. « J’ai été dans ce gouvernement. J'ai été proche d'Alpha. Je n'ai jamais senti sa volonté politique d'organiser ce procès. Nous avions d'autres compréhensions de cette question, mais ce n'est pas l'histoire de complot. Je suis sûr que si le 5 septembre n'était pas arrivé, ce procès ne se serait pas tenu », a finalement lâché l'ancien collaborateur du président déchu. L’interrogatoire de Fall se poursuivra le 3 avril prochain.
Sékou Diatéya Camara