Aussitôt reprises lundi dernier, les audiences dans le procès du massacre du 28 septembre 2009 ont été renvoyées au 2 mai prochain pour la suite des débats, sans aucune explication sur les motifs. Une décision du tribunal criminel de Dixinn, délocalisé à la Cour d’appel de Conakry, qui a suscité beaucoup de commentaires.
Lundi, les magistrats en charge du dossier rentrent dans la
salle, s’assurent de la présence des accusés et reviennent sur la constitution
des parties civiles. Aussitôt, le juge annonce que l’affaire est renvoyée au 2
mai prochain pour la suite des débats. Sur place, Ibrahima Sory 2 Tounkara n’a
pas évoqué de motifs. Nous apprendrons plus tard que le renvoi est dû à la
non-prise en charge alimentaire des accusés, parce que la restauratrice
n’aurait pas été payée depuis plusieurs mois. Le ministre de la justice a
confirmé cette thèse chez nos confrères de Djoma depuis l’Allemagne où il est
en séjour médical. Plus loin, Alphonse Charles Wright a parlé de sabotage. Il
s’en est notamment pris au coordinateur de l’unité de gestion du procès et à la
restauratrice. Il a reproché à l’un le fait d’avoir transmis au pool financier
une facture contenant des erreurs. Et à l’autre, le fait d’avoir surfacturé sa
prestation.
Si l’audience du
lundi dernier avait lieu, c’est Djénabou Bah, une des victimes qui était censée
comparaître à nouveau cette semaine. Son audition avait été suspendu la semaine
dernière
Après son exposé préliminaire et le début de la phase des
questions réponses la semaine dernière, le tribunal a décidé de suspendre
l’audition de Djénabou Bah jusqu'à ce qu'elle produise une pièce d'identité. La
suspension de son audition a été demandée par Me El hadj Fodé Kaba Cherif, qui
a soupçonné un cas de substitution. Cet avocat du colonel Claude Pivi a alors
constaté que la victime avait changé l'objet de sa plainte. Elle a déclaré à la
barre avoir été victime de coups et blessures seulement, alors qu'elle avait
initialement porté plainte pour viol. Pire, Djénabou Bah n'a pas reconnu sa
signature sur son procès-verbal d'audition devant le juge d'instruction. Le
tribunal a pris sa décision malgré le ministère public et les avocats des
parties civiles. Eux, ils avaient demandé à la défense de se contenter des
déclarations de la victime à la barre, en estimant que l'instruction définitive
se fait à ce niveau.
Avant la suspension
de son audition, Djénabou Bah s’était bien exprimée sur sa mésaventure au Stade
du 28 septembre.
Née en 1992 à Conakry, Djénabou Bah a rappelé qu’elle est
arrivée à Dixinn Terrasse aux environs de 10h, dans la matinée du 28 septembre
2009 en compagnie d’autres manifestants venus de son quartier, a-t-elle
expliqué. Elle dit avoir vu le colonel Moussa Tiegboro Camara et ses hommes en
train de menacer les manifestants qui se hasarderaient à entrer dans l'enceinte
du stade. Malgré cette menace, Djénabou et ses compagnons y sont entrés. Ils
s’installent alors au niveau de la tribune. Selon elle, les tirs ont commencé
aux environs de 13h avec l’arrivée des militaires en béret rouge. Djénabou Bah
est l’unique partie civile qui révèle avoir vu Claude Pivi dans l'enceinte du
stade avec ses hommes en train de tirer. Elle a aussi vu le commandant
Aboubacar Sidiki Diakité. L’ex aide de camp du capitaine Moussa Dadis Camara
qui n’était pas armé, s’est directement dirigé vers les leaders, a-t-elle
relaté. Djénabou Bah porte plainte pour avoir été victime de coups et blessures
et de violence.
Djénabou Bah a
succédé à la barre El Hadj Nouhou Barry, lui aussi, partie civile.
El Hadj Nouhou Barry est né en 1968 à Mamou. L'homme s'est
constitué partie civile dans ce dossier pour avoir été victime de coups et
blessures et pour avoir perdu son grand frère au stade, le 28 septembre 2009.
Lui et d'autres membres de sa famille comme son grand frère Amadou Oury Barry
sont partis de leur domicile à 6h du matin pour arriver au stade aux environs
de 9h 30, a relaté le sexagénaire. Selon lui, les tirs ont commencé aux
environs de 11h. Jusque-là, l’ambiance était bon enfant au Stade, a-t-il
témoigné. Dans la débandade, il est resté aux côtés de son grand frère Amadou
Oury Barry. Selon lui, ce dernier était un peu malade à l’époque. Lorsque les
deux sortaient du stade, des agents ont tiré sur Amadou Oury Barry. Il a
aussitôt trouvé la mort, a expliqué El hadj Nouhou Barry en pleurs à la barre.
Lui-même dit avoir été roué de coups par des militaires en béret rouge. Il dit
s'en être sorti avec 4 dents arrachées et un bras fracturé. La victime est
alors secourue par la Croix rouge. Il transite par l’hôpital Donka avant d'être
transféré à la clinique Mère et Enfants où il a passé sept (7) mois. Il ignore
l'identité de l'agent qui a tiré sur son grand frère. Mais, il affirme que
c'est un béret rouge. Le corps de son grand frère n'a pas été retrouvé jusqu'ici,
a-t-il déploré. Il ne confirme pas les cas de viol, mais il dit avoir vu des
agents traîner des femmes. La partie civile confirme avoir vu au stade, des
gendarmes, des militaires en béret rouge et des civils habillés en maillot de
Chelsea. Il témoigne également avoir vécu la destruction de la pharmacie de
l'hôpital Donka par des bérets rouges. A titre de dédommagement, il demande 8
milliards de francs guinéens.
Pour El hadj Nouhou
Barry, le massacre du 28 septembre 2009 a été bel et bien planifié.
Selon lui, les agents des forces de défense et de sécurité,
en plus de tirer à bout portant sur certains manifestants, ils ont sectionné
des fils électriques pour tuer d'autres par électrocution. Comme beaucoup
d’autres parties civiles, lui aussi, impute la responsabilité du massacre du 28
septembre 2009, au capitaine Moussa Dadis Camara en sa qualité de chef de
l'Etat au moment des faits. Malgré cette accusation, les avocats de la défense
se sont abstenus de lui poser des questions.
Bien avant El hadj
Nouhou Barry, et Djénabou Bah, Mamadi Condé a été la toute première victime à
avoir comparu la semaine dernière.
Mamadi Condé est né 1980 à Baro dans la préfecture de
Kouroussa en Haute Guinée. Ce plaignant est parti de son lieu de travail à Kénien
aux environs de 7h, a-t-il expliqué. C'est au niveau du carrefour Concasseur
qu'il dit avoir cheminé avec la foule pour rallier le grand stade de Conakry.
Il confirme avoir trouvé le colonel Moussa Tiegboro Camara à Dixinn Terrasse en
train de sensibiliser les manifestants sur la nécessité de reporter le meeting.
En dépit de quelques tractations, Mamadi Condé et d'autres manifestants
accèdent à l'enceinte du stade, a-t-il témoigné. Aux environs de 11h, se souvient le marchand
de profession, il reçoit l'appel de sa maman lui intimant de rentrer à la
maison au risque d'être maudit par cette dernière. Le temps pour lui de sortir
du stade, les tirs ont commencé à retentir, a-t-il dit. Le plaignant escalade
alors le mur. Et pendant qu’il tentait de retourner à la maison, Mamadi affirme
avoir reçu une balle au niveau de la station de Dixinn Oasis aux environs de
13h. Celle-ci a traversé selon lui, sa poitrine. Trois autres manifestants ont
été touchés par balles au même endroit, a-t-il révélé. Les quatre sont alors
secourus par les riverains avant l'arrivée de la Croix rouge. C'est à ce moment
que Mamadi Condé dit avoir vu le colonel Claude Pivi sur les lieux. L'ex
ministre de la sécurité présidentielle s'est opposé à leur embarquement pour
l'hôpital Donka, a-t-il témoigné. Lui et ses compagnons d'infortune sont
transportés par la suite grâce aux négociations de la Croix rouge. Il ignore
l’identité de son assaillant, mais il affirme que c'est un gendarme. Il dit
avoir passé deux mois sous soins intensifs à l’hôpital Donka. La victime a été
traitée, mais elle continue de garder des séquelles, comme des maux de têtes,
a-t-elle déclaré. Mamadi Condé souhaite bien être dédommagé. Cependant, il n’a
avancé aucun montant pour le moment.
En attendant, comme on l’a déjà annoncé, le procès devrait
se poursuivre mardi le 2 mai prochain.
Sékou Diatéya Camara