La Guinée pourrait-elle à nouveau bénéficier du soutien d’un médiateur
international ? C’est du moins le souhait d’une partie de l’opposition, qui a
sollicité plus d’ouverture de la part de la junte au pouvoir depuis le 5
septembre dernier, et l’envoi d’un médiateur chargé de faciliter le dialogue.
La méfiance est grandissante entre les civils et les militaires dans le pays,
où les leaders politiques s’inquiètent de l’opacité qui entoure la pratique du
pouvoir par Mamadi Doumbouya et ses hommes.
Représentant spécial et chef du
bureau des Nations unies de 2008 à 2014, le diplomate algérien Saïd Djinnit
voit d’un bon œil cette possibilité de nommer un médiateur. Il a lui-même endossé
ce rôle de facilitateur du dialogue inter-guinéen en 2013, à la veille
d’élections législatives explosives. Il fut ainsi l’artisan de l’accord du 3
juillet 2013 entre l’opposition, menée alors par Cellou Dalein Diallo, Sidya
Touré etLansana Kouyaté et le régime d’Alpha Condé, dont c’était le premier
mandat.
Le haut fonctionnaire onusien,
qui avait pris part aux négociations qui ont mené au retour de l’ordre
constitutionnel après le coup d’État de Dadis Camara en 2008, voit dans le
putsch du 5 septembre un « retour à la case départ » pour la Guinée,
et s’inquiète d’un recul démocratique dans l’ensemble de la sous-région.
Jeune Afrique : Quelle a été votre première réaction à l’annonce
du coup d’État contre Alpha Condé ?
Saïd Djinnit : Je me suis
dit « retour à la case départ ». Mais chaque fois qu’un dirigeant
manipule la Constitution pour rester au pouvoir, il prend le risque d’un coup
d’État ou un risque tout court. Ce fut le cas lors de la tentative
d’Abdoulaye Wade d’effectuer un troisième mandat en 2011 au Sénégal [sa
candidature donna lieu à de violentes manifestations à travers le pays], ou
lorsque le Nigérien
Mamadou Tandja a tenté de modifier la Constitution en 2009 [il sera
déposé par les militaires quelques mois plus tard, le 18 février 2010].
Hélas, les leçons du passé, dans le pays et dans la région, n’ont pas été
apprises.
Comment expliquez-vous sa décision de briguer un troisième mandat ?
Je pense qu’il avait cessé
d’écouter ses partisans, dont il avait eu besoin pour ses deux premiers
mandats. Il s’est isolé de sa base et de ses amis qui lui conseillaient de
renoncer. C’est surprenant quand on connaît son itinéraire, son combat pour la
démocratie.
Quel regard portez-vous sur la transition menée par le colonel Mamadi
Doumbouya ?
Je note qu’il n’y a pas de
visibilité quant à la transition, pas de feuille de route. L’équipe
au pouvoir semble vouloir se pérenniser. Ce régime militaire est une
mauvaise solution à un vrai problème. Pour moi, la transition doit être la plus
courte possible.
La junte estime que la transition
doit prendre le temps de refonder les institutions…
Je n’accepte pas cet argument.
Pourquoi ce travail ne pourrait pas être fait par un président élu ? Ce n’est
pas la vocation de l’armée de traiter ces questions éminemment politiques.
C’est aux partis, à la société civile, d’activer ce genre de réformes. Le cas
contraire revient à prendre la démocratie en otage.
Soupçonnez-vous les militaires de vouloir se maintenir au pouvoir le
plus longtemps possible ?
Tous les leaders qui ont émergé
des coups d’État à qui j’ai eu affaire dans ma vie veulent rester le plus
longtemps possible au pouvoir avant d’organiser les élections. Ils ont tous
leurs arguments, mais je ne suis pas dupe. Vous faites un coup d’État, et vous
voulez créer vous-même les conditions pour qu’il n’y ait plus jamais de coup d’État
dans votre pays ? C’est le serpent qui se mord la queue. Un non-sens
politique.
En Guinée comme au Mali, la
classe politique reproche aux militaires de les exclure de la transition. Une
inquiétude légitime selon vous ?
Une initiative qui exclut les
partis politiques ne peut fonctionner. Ils doivent être partie prenante de la
recherche de solution. La mise en place de nouvelles institutions ne peut pas
être une justification pour prolonger la transition. Les hommes n’étant que des
hommes, ils vont tenter de rester au pouvoir. Les périodes de transition sont
des périodes grises qui ne font pas avancer les pays.
Une personnalité indépendante peut-elle faciliter le dialogue, comme
l’opposition guinéenne en a fait la demande ?
À défaut d’avoir consensus sur un
médiateur national, il est important de trouver une personnalité qui bénéficie
de la confiance des deux camps. Si l’opposition guinéenne insiste sur la
nomination d’un facilitateur, c’est que le risque de manifestations est réel,
et les élections sont toujours accompagnées de violence en Guinée.
Les émissaires de la Cedeao auraient pu jouer un tel rôle. Mais le
représentant de l’organisation régionale a été expulsé du Mali en octobre
dernier ; et en Guinée, Mamadi Doumbouya a refusé l’envoi de Mohamed
Ibn Chambas…
Je regrette que les autorités
guinéennes aient refusé Chambas, qui connait très bien l’Afrique de l’Ouest. Le
problème se situe dans le déni de crise. Les militaires ne reconnaissent pas la
crise dans laquelle se trouve leurs pays. Or ils sont arrivés au pouvoir par la
violence, au lieu d’avoir été désignés par le peuple. Ils évoluent dans une
anormalité démocratique.
Les
chefs d’État de la sous-région sont-ils trop inflexibles envers Assimi
Goïta, vis-à-vis de Mamadi Doumbouya ou de Paul-Henri
Damiba, qui s’est octroyé le droit de rester trente-six mois au
pouvoir ?
N’oublions pas que les seize mois
de transition concédés par la Cedeao au Mali doivent être ajoutés à la période
déjà écoulée. Cela fait déjà presque
un mandat. Après le coup d’État de 2010 au Niger, les militaires ne sont
restés qu’un an au pouvoir et ont tenu plusieurs élections dans ce laps de
temps. Le retour à l’ordre constitutionnel peut être opéré rapidement.
Jugée illégitime par les militaires, de quels leviers de négociation
dispose la Cedeao ?
Il va bien falloir trouver un
moyen de travailler ensemble. Je crois que l’organisation a pris conscience de
la nécessité de mettre à jour ses instruments pour être à la hauteur. C’est
aussi valable pour l’Union africaine. Elles doivent être plus à l’écoute des
peuples, revoir leurs textes sur les changements anticonstitutionnels. Il ne
faut pas se limiter à condamner les coups d’État mais décourager en amont les
tentatives de manipulation pour se maintenir au pouvoir et aider les pays à
surmonter leurs problèmes de gouvernance.
Quel intérêt auraient les chefs d’État à modifier les textes de
l’organisation, alors que l’on en soupçonne certains de vouloir eux-mêmes se
maintenir au pouvoir ? Le Sénégalais Macky Sall par exemple, qui maintient
le flou au sujet de sa candidature en 2024.
Quand il s’agit de pouvoir et de
démocratie, rien ne se fait jamais facilement. On observe un réel recul des
valeurs depuis les années 2000. C’est aussi la responsabilité de la Cedeao
de s’améliorer constamment. Pour avoir connu et fréquenté Macky Sall, je n’ai
aucun doute qu’il respectera les normes démocratiques de son pays.
Les
sanctions sont-elles justifiées ?
Je ne suis pas surpris que la
Cedeao applique ses dispositions communautaires. L’important est d’œuvrer en
souplesse pour limiter autant que possible les répercussions sur les
populations.
L’ancien Premier ministre malien Soumeylou
Boubèye Maïga est mort en détention le 21 mars dernier, une mort
qualifiée « d’assassinat » par le président nigérien Mohamed Bazoum.
Partagez-vous ce point de vue ?
J’étais très peiné d’apprendre le
décès de Boubèye, qui était mon ami. Il était l’un des rares acteurs politiques
maliens préparé par son pays à assumer des responsabilités suprêmes. Il est
triste de constater que la chance ne lui a pas été donnée de le faire. Il avait
droit à être évacué, indépendamment de la question de la justice, et on ne lui
a pas laissé la chance de survivre.