En Guinée, le climat politique se détend depuis 48 heures. En effet,
avant-hier lundi 27 juin, pour la première fois depuis le début de l'année, le
Premier ministre et l'opposition se sont rencontrés à Conakry. Est-ce à dire
que le régime militaire du colonel Doumbouya, qui a pris le pouvoir en
septembre dernier, lâche du lest à l'approche du sommet Cédéao de dimanche
prochain ? Pas si simple, affirme le politologue guinéen Saïkou Oumar Baldé,
qui dirige le Centre de recherche CERF de Guinée et qui enseigne à l'Université
Sonfonia de Conakry. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier
Depuis le début de l'année,
les poursuites judiciaires se multiplient contre les leaders de la classe
politique. Y a-t-il la volonté de la part des militaires du CNRD [le Comité
national du rassemblement pour le développement] d'éliminer les leaders
politiques de la scène avant la prochaine élection présidentielle ?
Saïkou Oumar Balde : Les
militaires ont été très clairs dès le début, comme quoi il n'y aurait pas de
candidats issus non seulement du gouvernement, ni des membres du CNRD.
Cependant, un certain nombre de partis politiques, comme l'UFDG [L'Union des
forces démocratiques de Guinée] de Cellou Dalein Diallo, le principal parti de l'opposition au
temps d’Alpha Condé, et l'UFR [L'Union des forces républicaines] de Sidya
Touré, estimeraient qu’en quelque sorte ces poursuites judiciaires viseraient à
les éliminer de la course pour le pouvoir.
Qu'est-ce qui garantit que le
colonel Doumbouya ne sera pas candidat dans trois ans ?
Pour le moment, il faut s’en
tenir au discours, aux propos, parce que nous n'avons pas suffisamment de
garanties. Nous voyons ce qu'il se passe au Mali, notamment avec l'adoption du
code électoral, on attend aussi les textes guinéens qui pourraient consigner
ces garanties dans ces textes. Mais je pense que le cadre de dialogue qui a été
ouvert ce lundi par le Premier ministre Mohamed Béavogui va permettre à ces
partis politiques de s'exprimer et de demander surtout des garanties pour les
prochains scrutins.
Depuis le 10 mai et malgré tout
ce qui les oppose, le RPG [le Rassemblement du peuple de Guinée] d'Alpha Condé
et l'UFDG [l’Union des forces démocratiques de Guinée] de Cellou Dalein Diallo
se sont réconciliés sur le dos des militaires du CNRD. Est-ce que ce n'est pas
inquiétant pour le colonel Doumbouya ?
Il y a effectivement des
alliances qui se créent progressivement, mais en même temps des défections
d'alliances. Je tiens juste à préciser que le cadre de dialogue qui a été
ouvert ce lundi [27 juin] par le président a mobilisé vraiment les principaux
partis politiques de l'opposition. Sauf qu'il y a un grand absent, le RPG
Arc-en-ciel, qui n'a pas voulu participer à ce dialogue en exigeant justement
la libération de certains détenus de ce parti politique. Mais une alliance
politique de ces grands partis est tout de même inquiétante pour le CNRD, étant
donné que les militaires comptent beaucoup plus sur la mobilisation interne
pour faire face aux sanctions, par exemple de la Cédéao. La pression interne
des acteurs locaux apparaît pour le moment comme le plus efficace pour mettre
la pression sur le régime en place.
À la différence du Burkina Faso
et du Mali, la Guinée Conakry a un accès à la mer, est-ce la raison pour
laquelle les militaires du CNRD résistent aux pressions de la Cédéao ?
Non, ça n'a rien à voir, parce
que, malgré les affirmations sur la capacité de la Guinée à mobiliser
suffisamment de ressources pour sortir de la transition sans l'aide de la
Cédéao, il est quand même évident que toute sanction prise contre la Guinée
viendrait aggraver les difficultés du pays, notamment sur le plan économique.
On l’a vu d'ailleurs la semaine dernière avec la pénurie de carburant, donc
n'importe quelle sanction de la part de la Cédéao viendrait encore
amplifier les difficultés de la population.
Et ce nouveau cadre de dialogue entre le pouvoir et l'opposition depuis ce
lundi, est-ce une coïncidence s'il tombe quelques jours avant le sommet de la
Cédéao de dimanche prochain [3 juillet] ?
Pour moi, le calendrier de cette
rencontre du 27 juin n'est pas en rapport avec le sommet de la Cédéao du 3
juillet, mais à mon avis cela fait suite à la menace du FNDC [le Front National
pour la Défense de la Constitution] d'organiser une manifestation jeudi dernier.
Il est important de préciser que le cadre de dialogue lancé ce lundi 27 juin
n'est pas une réponse directe à la demande de la Cédéao, mais fait suite aux
menaces du FNDC, le Front anti troisième mandat qui avait été lancé par un
certain nombre d'organisations de la société civile, qui continuent à mettre la
pression sur le régime en place.
Les militaires du CNRD sont plus
sensibles aux pressions intérieures qu'aux pressions internationales ?
Absolument, parce que les
militaires du CNRD savent qu'avec un soutien de la population, il est plus
facile d'affronter la Cédéao et les institutions internationales que si
les forces intérieures sont démobilisées.