Alors qu'il s'achemine, à 89 ans, vers le quarantième anniversaire de son accession à la magistrature suprême, Paul Biya vient d'effectuer un épuisant aller et retour, qui est le signal qu'il doit à présent (bien) gérer la fin de son très long règne, s'il veut éviter au pays une guerre féroce entre les prétendants, après lui. Il devra aussi gérer le sort des nombreuses personnes qui l'ont servi, et dont certains meurent en prison, pour des péchés qu'il sait répandus à davantage de dignitaires que ceux qui se font prendre.
RFI : À l’approche du cinquantenaire, ce 20 mai, de la
réunification, le chef de l’Etat camerounais a effectué à Genève un « court
séjour privé », peu commenté au pays, mais qui a fait l’objet d’un traitement
peu flatteur dans la presse helvétique. C’est courant, dites-vous
Jean-Baptiste. Mais, alors, pourquoi dites-vous aussi que les Camerounais
auraient tort d’ignorer les leçons de ce dernier épisode?
Parce que ce voyage illustre quelques-unes des plus
attristantes réalités des quarante ans de pouvoir de Paul Biya. Ce déplacement
ne visait qu’à remettre le président d’aplomb, afin qu’il tienne la forme lors
du défilé commémorant ce que l’on appelait autrefois « La révolution pacifique
du 20 mai ». Le pouvoir non seulement s’est évertué à ne pas expliciter
l’information, mais a brouillé les pistes tandis que ses proches faisaient «
avaler » à Paul Biya, 89 ans, près de 14 000 kilomètres en l’espace de cinq
jours. C’est donc la presse genevoise qui s’est chargée de préciser la destination,
et de détailler, avec ses mots, les réelles motivations de ce voyage. Avec un
résultat peu avantageux pour le Cameroun et son président, donc, peu avantageux
pour l’Afrique.
Dans le monde d’aujourd’hui, lorsque vous pensez tenir votre
peuple dans l’ignorance de réalités qui le concernent, d’autres se chargent de
les lui révéler, souvent sous un angle déplaisant. Le président était un peu
fatigué, c’est un être humain ! Il avait besoin d’un peu de repos, ou même d’un
bilan de santé. C’est tellement plus simple ! Et plus sincère que ce communiqué
alambiqué, qui tendait à traiter les Camerounais comme des demeurés.
Qu’a donc dit la presse helvétique de si désobligeant sur ce
voyage ?
Pour faire sobre, disons qu’elle a clairement annoncé que
Paul Biya était en Suisse pour se soigner, et souligné que ce pourrait être «
le dernier de ses très nombreux voyages à Genève ». Pourquoi le dernier ? Nul
ne sait si ce pronostic définitif se fonde sur une source médicale, ou s’il se
réfère simplement aux 89 ans du président. L’ultime pique est que Paul Biya
est, aujourd’hui, le plus ancien des chefs d’Etat en exercice dans le monde. On
oubliera les classiques sur le train de vie insolemment luxueux du couple
présidentiel camerounais à Genève.
Il faudra, par contre, que l’on nous explique, un jour,
pourquoi ce président aime tant la lointaine Suisse, douze fois plus petite que
« son » si beau Cameroun et ses sites majestueux, ses richesses, ses
compétences dans tous les domaines, y compris en médecine. Et pourquoi cette
fixation sur une Suisse, qui l’aime de moins en moins, ou ne l’a peut-être même
jamais aimé que pour son argent…
Les formations sanitaires camerounaises ne peuvent peut-être
pas prendre en charge ses besoins de santé…
Soit ! Alors, ce chrétien, dont on vante tant l’humanisme,
devra expliquer pourquoi il refuse, par exemple, cette même chance d’aller
sauver leur vie aux ex-dignitaires de son régime, tombés en disgrâce, dont
certains meurent en prison, au nom de la lutte contre la corruption.
On parle d’un risque de cécité totale pour Marafa Hamidou
Yaya, qui fut longtemps son plus proche collaborateur, et qui supplierait,
expertises médicales à l’appui, de pouvoir aller sauver ses yeux. On a beaucoup
parlé d’Amadou Vamoulké, autre ex-dignitaire, vivant avec des douleurs
permanentes, à qui n’a jamais été accordée la faveur d’aller sauver sa vie, lui
qui n’a toujours pas été jugé, et qui, depuis cinq ans, bat des records
mondiaux de reports d’audiences.
Condamné, même pour détournement, ne saurait signifier
condamnation à mort. Surtout lorsque la rigueur parfois capricieuse de la
moralisation de la vie publique épargne certains. Comme si le salut passait
d’abord par le dévouement total. Surtout ne jamais déplaire...
Jean-Baptiste Placca