Pour opérer un réel
changement de cap radical, le Conseil national du rassemblement et du
développement (CNRD), qui tient dorénavant les commandes du navire Guinée, a
besoin de dresser un inventaire des années Alpha. C’est certainement à cette
tâche consistant à faire un état des lieux du gouvernement précédent, qu’une
taskforce, formée au pied levée, serait commise dans les locaux de la Villa 5
de la Cité des Nations. Parmi les
dossiers à potasser dans le cadre de cette future opération « main propre » qui
ne dit pas son nom, figure en bonne place le Rapport de contrôle de la gestion
du Fonds Spécial de Riposte à la Covid-19 et de Stabilisation Économique.
Dans cette première partie d’une série de dossiers que
Mirador se fait le devoir de porter à la connaissance de l’opinion publique,
nous faisons une plongée dans l’envers du décor de ce fameux Fonds public qui
nourrit toutes sortes de spéculations.
Dossier d’enquête
C’est sur la base de l’arrêté conjoint n°1852 du 15 juin
2020 portant modalités de contrôles des opérations du Fonds Spécial de Riposte
au Covid-19 et de Stabilisation Économique qu’une mission de la Cour des
comptes a produit un rapport d’observations provisoires sur la gestion de cet
outil de lutte contre la pandémie de Covid-19.
Ce travail du juge des comptes, a tout d’abord permis de
constater que ce fonds créé le 14 juillet 2020, n’a pas été ratifié par la loi
des Finances Rectificative exercice 2020. Ce qui est une violation au sens de
l’article 38 de loi organique relative aux lois de finances.
….des manquements ?
Tout à fait. En effet, il faut rappeler que ce fonds qui, en
vertu de son décret de création, fait de lui un fonds de concours, a été abondé
par diverses contributions. Des termes de ce rapport, on peut noter que les
opérations de dépenses du Fonds sont de 3 types, à savoir les composantes
sanitaire, sociale et l’appui au secteur privé.
En ce qui concerne la composante sanitaire, la Cour a noté
que des opérations ont été effectuées par l’Agence Nationale de la Sécurité
Sanitaire (ANSS) sont de deux catégories : les unes régulières et les autres
questionnables.
Pour cette dernière catégorie d’opérations, des écarts ont
constaté entre les transferts de fonds fournis par la paierie générale du
Trésor et les données financières de l’ANSS. Les travaux de la Cour ont
également mis en évidence des faiblesses dans la comptabilisation des dons en
nature reçus par l’ANSS.
La Cour a constaté sur les dépenses relatives à la
consolidation du dispositif de surveillance et de prise en charge, l’existence
des paiements pour des opérations financières par des bailleurs des fonds
internationaux, qui ne sont pas passés par le compte de Fonds, ainsi que
l’absence des pièces justificatives devant attester la régularité de certaines
de ces opérations.
Le flou entourant
l’acquisition des produits médicaux
Dans le cadre des acquisitions des produits médicaux, les
magistrats de la Cour ont noté que certains de ces achats ont été effectués
auprès de la pharmacie centrale de Guinée qui assure la garde des stocks au
compte de l’ANSS. Ce qui constitue un risque d’audit pour l’ANSS.
La Cour a aussi constaté des cas de non-respect des règles
de passation, de contrôle et de régularisation des marchés publics et de
délégation des services publics.
Dans le cadre des dépenses de laboratoire effectuées par
l’Institut National de la Santé Publique (INSP), la Cour n’a pas pu
reconstituer les montants réellement décaissés dans le cadre de la riposte.
Toutefois, elle révèle des cas de maniements des fonds publics par des
personnes non habilitées et des paiements effectués sans mandat ni de
l’ordonnateur ni de l’agent comptable. En plus les fiches d’engagements et de
liquidation ne sont signées que par le chef du service administratif et financier.
En le parcourant, nous nous sommes aperçus que sur la
composante sociale de la riposte, la Cour des Comptes a passé au peigne fin, le
plan d’Urgence de l’Agence Nationale d’Inclusion économique et sociale (ANIES)
évalué à 439 Mds GNF et des mesures sociales complémentaires pour un coût
trimestriel de 488 Mds.
Pour le premier volet dédié aux ressources de cette
composante, la Cour a révélé qu’au 31 mars 2021, l’ANIES n’avait pas pu
mobiliser certaines de ses ressources, tandis que d’autres, ne l’avaient été
que partiellement. En outre toutes les ressources mobilisées pour la riposte
n’ont pas été utilisées conformément au plan de riposte.
La Cour a aussi constaté que l’ANIES a bénéficié d’un appui
de 3 Mds de la MAMRI (Mission d’Appui à la Mobilisation des Ressources
Intérieures) qui a couvert certaines dépenses de phase 1 du plan d’urgence par
voie de caisse.
Sur l’utilisation de l’appui de la MAMRI, la Cour a constaté
que ni le contrôleur financier, ni l’agent comptable d’ANIES n’ont été associés,
contrairement aux dispositions du Règlement Général sur la gestion budgétaire
et la comptabilité publique.
…des procédés non
catholiques au niveau de l’ANIES. Qu’en retient-on ?
A la revue des pièces justificatives des différentes
dépenses de la phase 2 du plan d’urgence de l’ANIES, la Cour a constaté que
l’ANIES n’a pas respecté sa propre planification. Quant aux dépenses de la
phase 3 la cour a constaté qu’au 31 décembre 2020, l’ANIES n’avait payé que 54%
des primes aux pairs éducateurs pour une couverture de 7% des ménages
bénéficiaires.
Sur les transferts monétaires d’urgence, la Cour a relevé
l’existence d’une programmation de décaissements dans un plan de trésorerie de
5,79 Mds non encore régularisé et d’un reliquat non transféré aux ménages.
Le volet social de la composante, elle concerne la reprise
en charge intégrale par l’État des factures pour les abonnés au tarif social de
l’électricité et de l’eau d’une part, et de l’autre la gratuité des transports
publics pour avril-décembre 2020.
Dans le premier cas, la cour observe qu’une facturation de
43 Mds au niveau d’Électricité de Guinée (EDG) et une faible prise en charge
des factures de la Société des Eaux de Guinée (SEG).
Dans le second, la Cour note que les dépenses de transports
n’ont pas respecté les dispositions de l’article 8 de l’arrêté conjoint n°1635
du 26 mai 2020 portant modalités de gestions des ressources et des dépenses du
Fonds Spécial de riposte au Covid-19 et de stabilisation économique.
Là aussi, il se trouve que des paiements ont été effectués
sans preuves des services rendus. Comme c’est le cas de 3 Mds versés à la
société des transports de Guinée (SOTRAGUI) dont les bus sont en arrêt depuis
2017 et de 2 Mds à la société nationale des chemins de fer de Guinée qui n’a
pas pour vocation de transporter des passagers.
…des problèmes en ce
qui concerne la composante « appui au secteur privé »
S’agissant du composant appui au secteur privé la cour des
Comptes a constaté que le gouvernement sortant a mis en place le fonds d’appui
aux groupements d’intérêts économique et aux entreprises (FAGIEE). Et que le
FAGIEE a été approvisionné de 20 Mds GNF le 30 mai 2020 par la paierie générale
du Trésor.
Ce Fonds est logé au Fonds de développement industriel et
des PME (FODIP) dont le directeur général en est le président du comité de
pilotage du FAGIEE. Or ce FAGIEE qui est destiné à apporter des assistances
financières aux groupements d’intérêts et aux entreprises touchées par les
conséquences de la propagation du Covid-19, au 4 mars 2021, il n’y avait que 15
bénéficiaires sur les 48 dossiers validés qui avaient leurs fonds débloqués.
…des incohérences dans le fonctionnement du
comité de pilotage du FAGIEE ?
A ce titre précis, la Cour a relevé des incohérences dans
les décisions du comité de pilotage de FAGIEE. Elle a en outre noté que les
conventions de prêts conclues dans le cadre de la mise en œuvre de ce programme
n’ont pas toujours respecté l’exigence du taux d’intérêts de 5% TTC fixé par le
décret du n°097 du 29 mai 2020, portant création dudit fonds et repris dans les
conventions de gestion de crédits conclues entre les gestionnaires des crédits
et les partenaires techniques et financiers.
Sur le fonctionnement, la Cour a constaté la prise en charge
de certaines dépenses du FODIP par les ressources du FAGIEE ainsi que le
non-respect du code des marchés publics. Notamment en ce qui concerne l’achat
d’un véhicule par le ministère de tutelle en faveur du président du comité de
pilotage du FAGIEE.
La Cour a également constaté depuis le 29 mai 2020 du Fonds
de garantie de prêts bancaires aux PME et son approvisionnement depuis le 19
novembre 2020 de 50 Mds GNF. Mais que ce fonds, jusqu’à la date du 20 mai 2021
n’était toujours pas fonctionnel.
A la date du 31 décembre 2020, le compte du Fonds Spécial
présentait un solde de 728,39 Mds GNF.
Une enquête réalisée
par Akoumba Diallo