Si le temps politique en Guinée suit un cours imprimé par la volonté du chef de la junte, le colonel Mamadi Doumbouya, le temps judiciaire se charge pour celui-ci, en l’occurrence en France. Le 8 septembre dernier, une plainte a été déposée à Paris pour « complicité de torture » et « homicides volontaires », selon une source proche du dossier.
« Les circonstances de ces faits permettent de mettre en
évidence la participation du colonel Mamadi Doumbouya dont on peut penser qu’il
a à minima participé par le biais des ordres donnés aux militaires dont il
contrôle les agissements », soulignent les plaignants qui ont demandé à la
procureure de Paris d’ouvrir une enquête. « Celle-ci est d’autant plus
indispensable au regard de l’absence de toute perspective crédible de
poursuites à l’endroit de la junte militaire en Guinée, en l’absence
d’indépendance des juridictions nationales », estiment-ils.
Au-delà des familles de trois personnes, « tuées par balle »
dans des manifestations contre la junte, et de celle d’une personne décédée en
détention, entre fin juillet et mi-août 2022, les plaignants sont des membres
du Front national de défense de la constitution (FNDC), une coalition
d’opposition composée de partis, de syndicats et d’organisations de la société
civile. Pour leur défense, ils ont choisi deux avocats du barreau de Paris du
cabinet Bourdon & Associés : maîtres William Bourdon et Vincent Brengarth.
Ceux-ci se sont confiés au Point Afrique.
Le Point Afrique : l’actualité
politique guinéenne est partie pour avoir un pendant judiciaire à Paris.
Pouvez-vous nous faire l’économie de cette affaire qui justifie que vous ayez
été saisis ?
Maîtres William Bourdon et Vincent Brengarth : il s’agit
d’une nouvelle action judiciaire d’importance entreprise pour le FNDC, qui
prolonge les initiatives précédentes. Nous avons été saisis par ce collectif et
par des victimes des crimes commis en Guinée à l’occasion des manifestations
des jeudi 28 et vendredi 29 juillet et mercredi 17 août 2022.
Devant l’absence de toute possibilité crédible que des
investigations soient ordonnées en Guinée, nous avons fait le choix de saisir
la justice française. Il est urgent que des poursuites soient diligentées pour
stopper la spirale mortifère de la junte au pouvoir. Les autorités judiciaires
françaises en ont légalement la possibilité. Suffisamment d’éléments existent
pour qu’elles en apprécient positivement l’opportunité, en dépit de l’existence
de considérations purement politiques qui pourraient y faire obstacle.
Sur quoi votre action
va-t-elle se fonder ?
Selon les informations en possession des plaignants, le
colonel Mamadi Doumbouya aurait la nationalité française en plus de la
nationalité guinéenne, ce qui est de nature à fonder la compétence des
juridictions françaises. Or, en tant que membre du Comité national du
rassemblement pour le développement (CNRD) et président de la Transition, nous
considérons, en l’état des éléments transmis par le FNDC et les familles, qu’il
ne fait aucun doute que le colonel Mamadi Doumbouya occupe un rôle central dans
la répression actuellement à l’œuvre en Guinée contre la société civile. Aucune
immunité ne nous semble au surplus pouvoir être excipée dans ce cas de figure
particulier.
En effet, monsieur Mamadi Doumbouya ne saurait être
considéré à proprement parler comme un président de la République, en l’absence
de tout processus démocratique et compte tenu des conditions par lesquelles il
a pu accéder au pouvoir, à la faveur d’un coup d’État militaire : autrement dit
par la force des armes plutôt que par la voie des urnes. Cette plainte a été
déposée des chefs de complicité d’homicides volontaires ainsi que de tortures,
ce qui nous apparaît restituer son possible rôle dans la direction des
opérations.
Désormais, nous attendons de connaître la position du
parquet du tribunal judiciaire de Paris sur le point de savoir s’il entend ou
non ouvrir une enquête préliminaire et donc diligenter des actes
d’investigations. D’autres recours sont également en voie de préparation.
Quelles pourraient en
être les conséquences notamment pour le colonel Mamadi Doumbouya au regard des
éléments de nationalité française que vous avez évoqués ?
La nationalité française de monsieur Doumbouya pourrait
entraîner la compétence des juridictions françaises. Autrement dit, et sous
réserve des investigations qui pourraient être ordonnées, il pourrait être
amené à être entendu et à rendre des comptes, devant ces juridictions, des
crimes qui ont été commis. En tout état de cause, les juridictions françaises
peuvent également être compétentes en vertu du principe de la compétence
universelle.
À la croisée du
politique et du judiciaire, cette affaire jette une ombre sur le mode et le
cadre d’utilisation de la violence légale. Quelles réflexions cela vous
inspire-t-il sur la gouvernance en Guinée, en particulier, et en Afrique en
général ?
Le recours débridé à la violence dans le cadre des
opérations de maintien de l’ordre est malheureusement une maladie connue
affectant les États autoritaires. Il traduit une parfaite conscience de ces
États d’employer tous les moyens pour se maintenir au pouvoir, y compris par
l’usage d’une force inadaptée et disproportionnée. La répression en Guinée, qui
s’adosse aux interdictions de manifestations, montre une incapacité à accepter
l’expression d’une dissidence. C’est un profond recul par rapport à
l’aspiration démocratique initialement exprimée par la junte et finalement une
annonce de pur affichage. Un certain nombre de pays instrumentalisent également
les graves crises mondiales que nous traversons – crise sanitaire, menace
contre le terrorisme, guerre en Ukraine –, et l’attention très partagée de la
communauté internationale sur ces différents sujets, pour durcir encore plus
l’utilisation de la force.
Avec Le Point