Liberté de la presse en Guinée : souvenirs d’un combattant de premier ordre

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  • 03 mai 2022 11:44

  • Politique

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 Reconnu par l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’Homme, le droit à la liberté d’expression est célébré tous les 3 mai à l’initiative des Nations Unies, afin de rappeler les États leur obligation de respecter ce principe.

Cette journée consacrée à la liberté de la presse marque également l’anniversaire d’une importante réunion de journalistes africains tenue en Namibie, il y a 30 ans.

Dans cette interview, qu’il a bien voulu nous accorder, Abdoulaye Condé revient sur les contours de la

Déclaration de Windhoek et ses implications sur le processus de la libéralisation médiatique en Guinée.

Mosaiqueguinee.com: en 1991, des journalistes africains s’étaient réunis à Windhoek en Namibie pour discuter des questions relatives à libéralisation du paysage médiatique africain. Plusieurs recommandations ont été formulées afin que la presse africaine soit indépendante est-ce qu’à l’époque vous étiez journaliste ? Si oui pour quel medium travaillez-vous?

Abdoulaye Condé: Bonjour Mme Barry ou chère consœur pour simplifier la discussion ou l’échange que vous avez eu l’initiative d’initier à travers cette interview axée sur l’historique déclaration de Windhoek, capitale de la Namibie. En 1991, oui, j’étais journaliste reporter à la RTG et collaborateur du journal Horoya, l’organe d’informations du gouvernement où je signais des articles sur l’actualité. A l’époque, les partis politiques n’étaient pas légalisés, l’actualité était exclusivement gouvernementale. Aujourd’hui encore, je continue, en fonction de l’actualité, de signer des chroniques surtout pour rappeler quelques événements lointains ou récents de notre histoire.

-Relatez nous un peu les circonstances dans lesquelles cette déclaration a été signée.

Il faut d’abord noter que la Déclaration de Windhoek pour le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste résulte de beaucoup de mouvements qui ont marqué le monde vers la fin des années 80 et début 90. La chute du mur de Berlin en 1989, le déclin de l’union Soviétique en 1990, la vague des mouvements populaires réclamant la démocratie en Afrique avec les Conférences nationales souveraines organisées dans de nombreux pays aboutissant à la mise en place des Gouvernements d’union nationale. Il faut ensuite rappeler que le séminaire de Windhoek a été organisé au lendemain de la Table ronde Est/Ouest que le Directeur-général de l’UNESCO de l’époque, l’Espagnol Federico Mayor avait mise sur pied de manière spontanée en février 1990, quelques semaines seulement après la chute du mur de Berlin, pour relever un des nombreux

défis liés à la fin de la Guerre froide, celui de la démocratisation du paysage médiatique dans les pays d’Europe centrale et orientale qui pratiquaient un système de monopole absolu de l’État sur l’information tout comme l’union Soviétique dont ils étaient fortement dépendant. Cette initiative de l’ancien directeur de l’UNESCO, réunissant une soixantaine de journalistes indépendants originaires de ces pays dits du Bloc soviétique, ainsi qu’un certain nombre de journalistes des pays occidentaux d’Europe et d’Amérique, n’avait adopté aucun texte final, elle a cependant offert aux participants, dont la plupart venaient à peine de sortir de la clandestinité, une plateforme de libre expression. Elle avait suscité beaucoup d’intérêt notamment auprès des diplomates africains qui avaient demandé au Directeur-général qu’une conférence semblable soit organisée sur leur continent. C’est en réponse à cette requête des diplomates africains que ce dernier a décidé d’organiser le séminaire de Windhoek. Le séminaire de Windhoek est donc la résultante ou la conséquence logique des grandes mutations du monde des 80-90. La Déclaration de Windhoek a favorisé des grandes avancées démocratiques sur le continent.

-En 1991 à quoi ressemblait la presse guinéenne?

En 1991, il faut l’avouer, les médias en Guinée appartenaient pratiquement encore à l’État. La radio, la télévision notamment mais aussi le Journal Horoya dominaient encore le paysage médiatique Guinéen comme sous la première République avec le régime du Parti-État qui avait une totale mainmise sur les médias même d’ordre sportif ou culturel. Cependant, il est important de noter qu’à la faveur du discours de 2 octobre 1989, à l’occasion de l’an 31 de l’indépendance, du Président Lansana Conté annonçant sa volonté de doter le pays d’une nouvelle Constitution consacrant le bipartisme, reconnaissant les libertés individuelles et collectives, les chaînes d’informations internationales comme Africa N°1, RFI ou BBC ont commencé à avoir des correspondants politiques sur place en Guinée dont les marges de manœuvre, il faut le reconnaitre, étaient très limitées en ces temps de contestations politiques.

-Quelle aura été la contribution de la Guinée dans ces différentes résolutions ?

Avec la situation de la Presse Guinéenne à l’époque, la contribution Guinéenne a été dans les limites de la réalité de l’époque. Mais, il faut être fier que notre confrère, le doyen Sankarela Diallo soit parmi la soixantaine de journalistes africains qui ont rédigé la Déclaration de Windhoek en conclusion du Séminaire pour le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste organisé en mai 1991, par l’UNESCO et les Nations Unies en étroite collaboration avec diverses organisations professionnelles des médias représentatives de la profession à l’échelle internationale et régionale. Et le plus important, c’est l’impact de la Déclaration sur le processus de libéralisation médiatique en Guinée.

Justement, 30 après l’élaboration de ce document dites-nous quel a été son impact? Est-ce qu’il a contribué à la libéralisation des ondes ?

Son impact a été déterminant. Elle est à l’origine de la réalité actuelle du paysage Guinéen avec une totale libéralisation médiatique. Si, aujourd’hui, la Guinée a des journaux indépendants, des radios et télévisions appartenant à des privés, nous le devons d’abord à la Déclaration de Windhoek. En effet, dès le lendemain du séminaire de Namibie, le Gouvernement Guinéen de l’époque, à travers le ministère de l’information et de la culture, a organisé des journées de concertation et un séminaire sur la question et envisager l’avenir. Des responsables du ministère comme Aboubacar Sylla, alors secrétaire général du département, Cheick Fantamady Condé, directeur général du journal Horoya, Mohamed Condé, directeur de TAGP, Cheick Kemoko Diakite, directeur de l’OGP, des personnalités de la presse évoluant en Guinée et à l’étranger comme feu Siradiou Diallo, à l’époque Directeur à JA et non leader politique, ont fait des communications et réflexions qui ont aidé à la rédaction de la Loi sur la Presse. Et dès 1992, le Gouvernement a accepté de libéraliser le journal papier. Et, aujourd’hui la libéralisation est totale. Le combat, il est vrai, avec des esprits figés sur le passé, n’a pas été facile. Mais, le Général Lansana Conté, avant la fin de de son régime a levé le blocus sur les médias audiovisuels en 2005. Sur le plan international, la Déclaration de Windhoek a eu plusieurs importantes retombées concrètes dans le domaine des médias. Le Programme international pour le Développement de la Communication (PIDC) de l’UNESCO a modifié, dès février 1992, ses règles de fonctionnement pour tenir compte des recommandations contenues dans la Déclaration en permettant aux projets soumis par le secteur privé de bénéficier de son soutien financier au même titre que ceux du secteur public. Toujours en 1992, l’UNESCO a apporté son appui à la mise en place d’un réseau d’alerte mondial installé à Toronto, ainsi qu’à la création de l’ONG Media Institute of Southern Africa (MISA) dont l’une des missions est de soutenir la mise en œuvre des recommandations contenues dans la Déclaration de Windhoek notamment la nécessité de promouvoir des médias libres, indépendants et pluralistes. En décembre 1993, l’Assemblée générale des Nations unies a proclamé le 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, concrétisant ainsi la proposition faite par les participants au Séminaire de Windhoek et reprise à son compte par la Conférence générale de l’UNESCO. A l’occasion de la célébration du 3 mai 1996, le Directeur-général de l’UNESCO a annoncé la création du Prix mondial de la liberté de la presse UNESCO/Guillermo Cano dont le principe avait été proposé par les participants au séminaire de Santiago en mai 1993. Ce prix est destiné à distinguer une personne, une organisation ou une institution qui a contribué d’une manière notable à la défense ou à la promotion de la liberté de la presse où que ce soit dans le monde. La Déclaration de Windhoek a donc joué un rôle catalyseur dans le mouvement de démocratisation qui a marqué le paysage médiatique international tout au long des années 1990 avec d’autres séminaires similaires organisés par l’UNESCO et les Nations unies, avec l’appui des organisations professionnelles des médias, pour les médias d’Asie à Alma Ata au Kazakhatan en octobre 1992, d’Amérique Latine et des Caraibes à Santiago de Chili en mai 1994, Arabes à Sanaa, au Yémen en janvier 1966 et d’Europe et d’Amérique du Nord à Sofia en Bulgarie en septembre 1997. Chaque séminaire s’est terminé par l’adoption d’une déclaration dans laquelle les participants ont exprimé leur plein appui et leur entière adhésion aux principes fondamentaux de la Déclaration de Windhoek en reconnaissant son importance cruciale pour la promotion de médias écrits et radiotélévisés libres, indépendants et pluralistes dans toutes les régions du monde et la Conférence générale de l’UNESCO a adopté toutes les Déclarations. Comme l’a dit un ancien ministre Nigérien, « la Déclaration de Windhoek est la contribution de l’Afrique à l’édifice des droits de l’homme ».

Donc il y a de la diversité et du pluralisme au sein des médias guinéens à votre avis.

Oui, bien sûr. L’unanimisme ne fait plus partie du vocabulaire des médias. Ça, nous le constatons tous les jours.

Aussi bien que les partis politiques ou les syndicats, les médias guinéens sont divers, pluriels, contradictoires et mêmes conflictuels. Cette diversité fait sa richesse.

-Est-ce que ceux-ci sont en mesure de fonctionner indépendamment du pouvoir et de l’influence politique?

Ils devraient plutôt et ils peuvent fonctionner avec professionnalisme sans influence. Avec l’État, il faut avoir des relations saines et objectives. Le pouvoir comme l’opposition ou la société civile sont des partenaires et chacun d’eux manœuvre le plus souvent à avoir les faveurs de la presse à défaut de pouvoir la manipuler ou domestiquer.

Le journal papier fait partie des médias traditionnels qui demeurent toujours malgré l’invention du numérique qui a contribué à la création de nouveaux médias grâce aux technologies de l’information et de la communication. Selon vous combien d’organes guinéens ont fermé leurs portes et se sont tournés vers les médias en ligne?

Difficile de fournir un chiffre, seule la Haute Autorité de la Communication où ils sont enregistrés peut faire le point de la situation d’autant que la Guinée a connu une multitude de Titres qui est aussi la preuve d’une véritable liberté en la matière mais ils sont nombreux les journaux guinéens qui ont cessé de paraitre pour des motifs financiers ou de ressources qualifiées.

Selon vous l’avènement de l’internet a apporté un changement dans le monde médiatique guinéen?

C’est une évidence. Aujourd’hui, grâce à l’Internet, nous pouvons être informés instantanément et au même moment des événements ou de l’actualité partout où nous nous sommes vous et moi. Le changement est positif et il est 180 degrés à l’heure.

-Malgré les avancées enregistrées dans le domaine de la presse beaucoup de défis restent à relever? Du regard d’un journaliste professionnel que vous êtes quelles recommandations avez-vous pour les trente prochaines années ?

Recommandations, c’est trop dire. Je souhaite simplement ou je conseille à la génération nouvelle de résister à la tentation financière, matérielle, à la manipulation des forces occultes, de favoriser le professionnalisme en respectant rigoureusement la déontologie et l’éthique. C’est une profession noble et elle conduit à toutes les richesses si on sait s’y prendre.

Merci pour votre disponibilité.

Avec mosaiqueguinee.com

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