Ce n’est pas un pavé que la Cour pénale internationale (CPI) a jeté
dans la mare, le 17 mars dernier, mais plutôt une bombe au phosphore dans la
mer d’Azov, avec le mandat d’arrêt émis par cette juridiction permanente contre
le très teigneux président russe, Vladimir Poutine, suite à la déportation de
plus de 16 000 enfants des territoires ukrainiens occupés vers la Fédération de
Russie, moins d’un mois après le déclenchement des hostilités, le 24 février
2022. Sauf erreur ou omission, le locataire du Kremlin est le troisième
chef d’Etat en exercice à être recherché par la CPI, après le Soudanais Omar El
Béchir et le Libyen Mouammar Kadhafi. Les deux précédents mandats n’avaient pas
pu être exécutés pour diverses raisons, et il est fort probable que ce dernier
connaisse le même sort, surtout qu’il vise l’un des chefs d’Etat les plus
puissants et les plus insoumis du monde. Certains proches du président russe se
moquent de ce « tissu de crétineries » présenté par le procureur Karim Ahmad
Khan, d’autres se marrent d’un « papier toilette » brandi par l’Occident pour «
amuser la galerie », alors que les plus radicaux estiment que ce mandat d’arrêt
n’aura pas plus d’impact ou d’effet que « le pet d’un moucheron ».
Reste à savoir si Poutine va royalement ignorer cet avis de recherche
internationale
Le verbe est bien haut et les
formules bien fleuries du côté de Moscou, mais on n’est pas sûr que le très
paranoïaque Vladimir Poutine soit serein pour autant, puisqu’il se sait
désormais dans l’œil du cyclone dès qu’il quitte les territoires de la
fédération de Russie. Reste à savoir
s’il va royalement ignorer cet avis de recherche internationale en se rendant
dans des pays alliés de la Russie ou qui n’ont pas ratifié le statut de Rome,
sachant qu’il n’y a aucun risque qu’il soit arrêté et transféré à La Haye pour
répondre des crimes présumés de déportation d’enfants commis par les Russes
dans les régions ukrainiennes de Donesk et de Lougansk notamment. Beaucoup
d’analystes pensent qu’aucun complexe de persécution ne peut contraindre cet homme au regard fixe et aux réactions
froides, à se barricader à l’intérieur des frontières de son pays, même s’il
est évident qu’il fera attention à là où il mettra désormais les pieds pour ne
pas faire les frais de cette traque internationale dont se réjouissent ses
ennemis jurés de l’OTAN. Ces derniers savent d’ailleurs qu’il est plus facile
de faire de la géométrie dans l’espace que de mettre ce mandat d’arrêt à
exécution, d’autant que le risque est grand de voir la Russie nucléaire réagir
par tous les moyens pour laver l’affront, si son président en exercice venait à
être présenté au monde entier entre les mains de ses ennemis et face à des
juges pour une reddition des comptes, alors que d’autres présidents, notamment
Georges Bush, auraient dû le précéder à la barre, pour les monstruosités
commises par leurs troupes et sur leur instigation, en Irak notamment.
On ne peut pas exhiber des populations sans défense comme un butin de
guerre
Qu’à cela ne tienne, c’est déjà
un acte hautement symbolique que de mettre la Justice internationale aux
trousses d’un homme aussi omnipotent que Vladimir Poutine, comme pour dire aux
Africains qui dénoncent cette justice à géométrie variable qui met la main sur
des lampistes tout en laissant passer les gros poissons entre les mailles du
filet, que nul n’est à l’abri des foudres judiciaires si sa culpabilité venait
à être documentée ou établie. Pourtant, jusqu’ici, les principaux clients de la
CPI viennent essentiellement du continent africain, avec les Ivoiriens Laurent
Gbagbo et Charles Blé Goudé, les Kényans William Ruto et Uhuru Kenyatta, les
Congolais Thomas Lubanga et Jean Pierre Bemba, sans oublier ceux qui ont été
dans le viseur de la Cour sans être jamais alpagués, comme l’Ougandais Joseph
Kony, le Soudanais Omar El Béchir et le Libyen Seif al-Islam Kadhafi. Mais avec la « chasse à l’homme » lancée par
la juridiction internationale contre le président d’un pays disposant de la
bombe atomique et de surcroit membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU,
c’est un message subliminal et un avertissement sans frais lancés aux satrapes
africains dont les pays sont en guerre et qui tuent autant qu’ils peuvent au
cours des combats qui virent parfois à l’épuration ethnique. Ces désastres
humains et ces décors de film d’épouvante enregistrés ici et là, sous divers
prétextes, sont tous documentés et seront un jour opposables aux présumés
auteurs qui agissent plus avec du sang qu’avec des neurones, et qui ne savent
pas que le silence tombal de la communauté internationale n’est pas synonyme de
blanc-seing pour massacrer des populations innocentes. La délivrance de mandats
d’arrêt internationaux contre Poutine et contre sa commissaire aux droits de
l’enfant, Maria Belova, fera date, et rappellera aux chefs d’Etat du continent
que tout se paie ici-bas, comme le dit l’adage. On ne peut pas exhiber des
populations sans défense comme un butin de guerre ou brandir les corps
d’individus présumés innocents comme des trophées de guerre, en comptant sur de
prétendus soutiens ou de faux amis qui sont comme les ombres : ils te suivent
dans la lumière, mais te laissent de côté dès qu’apparait l’obscurité. Espérons
que les tuiles judiciaires qui menacent de tomber sur la tête de Poutine seront
suffisamment dissuasives pour les « jusqu’aupoutinistes » africains, et
serviront de leçon à tous ceux qui, à travers le monde, pensent qu’ils peuvent
utiliser leur puissance et leurs moyens pour réduire leurs semblables au
silence, en toute impunité et sans le moindre risque.
Le Pays