Le procès des événements du 28 septembre 2009 a repris cette semaine devant le tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d'Appel de Conakry. Après la journée sans audience lundi, les parties civiles ont continué à défiler à la barre. Le mardi, tout a commencé par Yaghouba Barry.
Yaghouba Barry est né en 1963 à Télimélé dans la région de
Kindia en Basse Guinée. Dans la matinée du 28 septembre 2009 aux environs de 8h
30, a-t-il expliqué, il est parti de chez lui à Koloma en compagnie de sa femme
pour le stade. Où il dit avoir accompagné son épouse au niveau de la tribune,
et lui est resté sur la pelouse. Déjà, en constatant la présence des éléments
de l'anti-drogue aux alentours du stade lorsqu'il y entrait avec sa femme, le
plaignant dit avoir perdu sa sérénité. Puisqu’il dit s’être souvenu de
l’irruption avant les évènements du 28 septembre 2009, des hommes du Colonel
Moussa Tiégboro Camara au marché Madina, à la recherche des cambistes. Il
laisse alors sa femme au stade, et retourne à la maison pour rester au chevet
de leurs enfants. Il ne réussira pas à sortir du stade aussitôt, puisque les
tirs avaient commencé.
Selon Yaghouba Barry, il est intercepté par des éléments de
l'anti-drogue, qui l’ont bastonné et poignardé à deux reprises. Conséquence, il
perd plus d’une dizaine de dents et s’en sort avec un pied fracturé, a-t-il
poursuivi. C’est après qu’il est conduit au camp Alpha Yaya Diallo, dans les
locaux des Services spéciaux, s'est-il souvenu. Le plaignant affirme avoir
passé 12 jours dans les prisons du colonel Moussa Tiegboro Camara. Pendant son
séjour au camp Alpha Yaya, il dit avoir reconnu le colonel Moussa Tiegboro
Camara et le colonel Abdoulaye Chérif Diaby. Revenant sur les conditions de sa
libération, Yaghouba Barry a révélé que c'est un béret rouge qui a demandé
qu'il soit libéré parce que la Commission d'enquête internationale était
annoncée sur les lieux.
En marge de la déposition
de Yaghouba Barry, un des avocats de la défense du colonel Claude Pivi a égrené
ce qu’il a appelé des irrégularités dans la constitution de son dossier.
« Monsieur Barry confirmez-vous n’avoir jamais été à
l’hôpital Donka ? », a interrogé Me El hadj Fodé Kaba Cherif. « Je ne suis pas
allé là-bas », a répondu le plaignant. C’est ainsi que l’avocat de la défense
va attirer l’attention du tribunal sur le certificat médical versé au dossier
de Yaghouba Barry. « Monsieur le président, le certificat émane de l’hôpital
Donka et la partie civile qui comparait par devant votre barre dit qu’elle n’a
jamais été à Donka. Et mieux que ça, monsieur le président, ce certificat
médical date du 24 septembre 2009, avant les événements du 28 septembre. Je
voudrais attirer votre attention sur ces faits », a-t-il détaillé, avant
d’ajouter qu’il ne comprend pas compris comment ce certificat a pu se retrouver
dans le dossier. C’est après cette parenthèse que la déposition du plaignant a
pris fin.
Après la déposition de Yaghouba Barry, place à
celle de Ousmane Condé.
Cette nouvelle partie civile est née en 1967 à Dabola, en
Haute Guinée. Le marchand a expliqué qu'il est parti de chez lui à la Minière
dans la matinée du 28 septembre 2009, pour le domicile de son grand frère à
Dixinn. Il y a trouvé beaucoup de personnes avec lesquelles il a pris la
direction au stade. Plus d'une quinzaine de minutes après leur arrivée, a-t-il
relaté, les mouvements éclatent sur fond de tirs. Ousmane Condé tente en vain de
sortir par le grand portail. Il se dirige alors vers l'autoroute, en escaladant
les murs du stade grâce aux personnes de bonne volonté, a déclaré la victime.
Ce militant du RPG se dirige ensuite vers la cour d’un service de gendarmerie
où il a été pris en charge par des agents de la Croix rouge. Selon lui, il a
été embarqué avec beaucoup d'autres manifestants blessés, pour l'hôpital Donka.
Sur le pont de Madina, a-t-il rappelé, un groupe de militaires a tenté de les
détourner de leur chemin pour les amener au camp Koundara, sans succès. Sous
soins intensifs, la victime dit avoir passé plus de trois mois à l'hôpital
Donka. Ousmane Condé porte plainte pour coups et blessures après avoir été
touché par plusieurs balles au stade, notamment au niveau d'un de ses bras. A
titre de dommage et intérêts, il sollicite 1 milliard de francs guinéens.
Le même jour, le
décès de l’épouse de Cherif Diaby est annoncé, son avocat demande sa mise en
liberté, mais en vain.
C’est après la pause de la mi-journée, que le conseil du
colonel Abdoulaye Chérif Diaby a annoncé au tribunal, le décès de l'épouse de
son client à l'hôpital Ignace Deen. Me Bomby Mara a ensuite sollicité une mise
en liberté en faveur de l'officier militaire afin qu'il puisse assister à
l’enterrement de son épouse. Le ministère public et les avocats des parties
civiles se sont opposés à cette demande à cause de la gravité des faits
reprochés à l'accusé et des risques que sa mise en liberté pourrait entraîner.
Finalement, le tribunal a rejeté la demande.
La journée de mardi a
été clôturée par la comparution d'une nouvelle partie civile. Thierno Ibrahima
Youla, c'est son nom.
Thierno Ibrahima Youla est né en 1982 à Conakry. Il a
expliqué que dans la matinée du 28 septembre 2009, lui et d'autres militants de
l'UFR, se sont retrouvés au domicile de Tidiane Sylla à Coléah cité. Ils sont
passés au domicile de Jean Marie Doré, avant de se retrouver au stade, a-t-il
dit. Ils sont arrivés avec les autres leaders, à l’exception de Jean Marie
Doré. L'arrivée de l'ancien président de l'UPG a été suivie de l'irruption des
militaires, a témoigné le plaignant. Sur fond de débandade, il dit avoir connu
beaucoup de péripéties avant de sortir du stade. En fin de compte, il a été
blessé au pied, aux paumes et il a reçu des coups au dos de la part d'un
militaire. Il ajoute qu'il a vu de nombreux manifestants se faire électrocuter
et poignarder. Il ne confirme pas les cas de viols, mais Thierno Ibrahima Youla
affirme avoir vu des femmes à moitié ou complètement nues, notamment dans la
salle de basket du stade. En plus des gendarmes, il dit avoir vu au stade des
bérets rouges munis de machettes, et des hommes portant des maillots du club
Chelsea. Sur la pelouse, il dit avoir identifié Toumba Diakité, mais non armé.
Pendant qu'il cherchait à se sauver davantage, il a vu par deux fois le cortège
du colonel Claude Pivi sur le tronçon Dixinn Terrasse-pont Madina. Par les
soins de Médecins sans frontière, il est conduit à l'hôpital Donka. N'étant pas
assuré des conditions de prise en charge dans cette structure sanitaire qui
était aussi militarisée à ses yeux, il a décidé de rentrer chez lui pour se
faire traiter.
Mercredi, le procès
s’est poursuivi. Trois nouvelles parties civiles, a commencé par Mamadou Baïlo
Bah, ont été entendues.
Le plaignant né en 1992 à Conakry, dit s’être constitué
partie civile pour avoir perdu son père au stade. Selon lui, la victime est
sortie de la maison à Hafia Minière aux environs de 7h pour aller au travail,
non loin de Jean Paul 2. Dans son garage puisque c'était un tôlier peintre, il
reçoit un de ses clients du nom de Aladji Telli, a rapporté le plaignant. Les
deux bougent ensemble pour le stade en passant par le carrefour Concasseur.
Quelques minutes plus tard, a-t-il relaté, l'irruption des militaires
intervient. Aux environs de 15h, a rappelé Mamadou Baïlo Bah, son père est
appelé au téléphone par un de ses apprentis. C'est un monsieur qui a répondu.
Ce dernier en a profité pour informer son interlocuteur de la mort du
propriétaire du téléphone au stade. Les jours qui ont suivi, certains membres
de sa famille ont sillonné des hôpitaux, et d’autres se sont rendus dans des
lieux de détention à Conakry. Si à Ignace Deen, ils n'ont trouvé aucune trace
de leur proche, à Donka, ils ont appris que le corps de la victime y a bien
transité, mais avant de prendre une autre destination nuitamment, a raconté le
plaignant. Mamadou Baïlo Bah a ajouté que ses frères se sont aussi rendus à
l'esplanade de la mosquée Fayçal où des corps des victimes avaient été exposés.
Malheureusement, s'est-il offusqué, le corps de Mamadou Aliou Bah n'a jamais
été retrouvé. En répondant aux questions du juge, l’homme d’une trente d’années
a précisé qu'il tient ces informations des apprentis de son papa et des voisins
qui l'ont vu au stade. Il dit avoir porté plainte contre les autorités d'alors.
Il sollicite du tribunal que le corps de son père soit retrouvé pour permettre
à sa famille d’observer le deuil.
À la suite de Mamadou
Baïlo, c'est Mamadou Bobo Bah qui a comparu. C’est une partie civile victime de
coups et blessures.
Mamadou Bobo Bah est né en 1992 à Bambéto. Cette autre
partie civile dit être allée au stade en compagnie d'un de ses amis dans la
matinée du 28 septembre 2009 aux environs de 8h 30. A la terrasse, Mamadou Bobo
dit avoir trouvé beaucoup de militaires. Le colonel Moussa Tiegboro Camara
aussi. L'ex patron des services spéciaux était en train de dissuader des
manifestants d’entrer au stade. Après avoir pris place dans la zone appelée
Sahara, il entend d'abord des coups de gaz puis des tirs à balles réelles. Il
décide alors de sortir du stade avec son ami. Lorsqu'ils sortaient, a expliqué
Mamadou Bobo Bah, ils sont interceptés et bastonnés par des gendarmes vêtus de
t-shirts noirs. En dépit de ces coups, le plaignant tente de s'en fuir. Pendant
qu'il courait, a-t-il révélé, il est atteint par balle sur sa cuisse droite. Il
est aussitôt secouru par son compagnon d'infortune avant de se retrouver à
l'hôpital Donka par le soin de la Croix rouge. Il demande à sa mère qui l’avait
rejoint, de le sortir de cette structure sanitaire à cause, selon lui, des
risques qui planaient sur des victimes. Mamadou Bobo Bah est alors transporté,
dit-il, dans le coffre d'un taxi pour une clinique à Bonfi. Il est ensuite
transféré à la clinique '' Mère et Enfant '' à Kipé. Lorsqu'il venait dans
cette structure sanitaire, dit le plaignant, son pied était en train de
pourrir. Après des tractations, son pied droit est amputé, mais malgré lui. A
la suite de sa guérison, Mouctar Diallo, président des NFD, l'a envoyé à Dakar
pour mettre le reste de son pied dans une prothèse, a-t-il rappelé. Il retourne
au pays, mais son pied a continué à lui faire mal. Grâce à la FIDH, a relaté
Mamadou Bobo, il retourne à Dakar dans une clinique canadienne qui a révélé que
la première opération n'a pas été bien faite. Pour la deuxième opération
demandée par cette structure sanitaire, il n'a pas eu d'aide jusque-là, a-t-il
dit. La partie civile porte plainte pour coups et blessures et demande de
l'aide au tribunal.
La comparution de
Mamadi Mansaré a clôturé les deux journées d’audiences. Il s’agit cette fois
d’un journaliste reporter, qui travaillait à la radio Familia FM au moment des
faits.
Mamadi Mansaré est parti au stade dans la matinée du 28
septembre 2009 en compagnie d'un de ses collègues du nom de Thierno Alpha
Ibrahima Baldé, présentement journaliste ici à FIM FM, a-t-il rappelé. Il y est
allé pas en tant que manifestant, mais pour couvrir la manifestation en sa
qualité de journaliste au compte de la radio Familia, a précisé le journaliste.
Au niveau de la terrasse, il dit être tombé sur un premier homme couché avec
les pieds fracturés. Un deuxième étalé sur le dos et un troisième qui était
déjà mort au niveau du grand portail. Sur place, a-t-il poursuivi, Mamadi
Mansaré affirme avoir vu le colonel Moussa Tiegboro Camara en face de Mouctar
Bah, correspondant de RFI, qui selon lui, était dépossédé de ses matériels de
travail. Pour entamer son travail pour lequel il est déployé, il sort sa caméra
pour filmer. Il est aussitôt interpellé par un policier. Ce dernier l'amène
dans un bureau au commissariat urbain contigu au stade, pour supprimer tous ses
éléments, même les plus anciens, a-t-il relaté. Il reprend ses matériels pour
continuer la couverture jusque dans l’enceinte du stade. Vers midi, a rappelé
l’ex reporter de Familia, il a entendu des coups de feu avec l'arrivée des
militaires. Pendant qu'il sortait du stade, il dit avoir vu un jeune à terre au
niveau de la porte. Il a également témoigné avoir vu un militaire en train de
tirer sur un jeune. Plus loin, a confié Mamadi Mansaré, il a vu un autre
militaire déshabiller une dame. Pendant qu'il continuait son chemin, il est
intercepté par deux hommes en uniforme qui l'ont violenté. Il a alors perdu de
l'argent, sa caméra, son micro et son enregistreur. Pire, a-t-il révélé, sa
tête a été effleurée par balle lorsqu'il a tenté de reprendre sa moto. Comme
séquelles des coups et blessures, notre collègue, puisqu’il est à FIM
désormais, se plaint de l'oubli. Il demande à être indemnisé.
Le procès est renvoyé au lundi 22 mai prochain.
Sékou Diatéya Camara