Cette question fait débat depuis qu’un ministre a déclaré au cours d’une émission de radio que « le procureur est au service du gouvernement… ».
Pour permettre à un public non juriste de voir clair dans ce
débat, il est important de situer de façon sommaire le procureur et son rôle
dans l’appareil judiciaire. Cela passe nécessairement par l’indication de ce
qu’on entend par « ministère public ».
L’expression « ministère public » a une double
signification. D’une part, il désigne l’ensemble des magistrats chargés par la
société d’exercer l’action publique. L’action publique est l’action judiciaire
qui appartient à la société pour le maintien de l’ordre public par la poursuite
des infractions pénales. D’autre part, le ministre public, c’est le magistrat
qui, dans un procès donné, représente la société.
Selon l’article 38 du Code de Procédure pénale “Le ministère
public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi. Il est
représenté auprès de chaque juridiction répressive. Il assiste à leurs débats
et toutes les décisions sont prononcées en sa présence après qu’il ait
développé librement les observations qu’il a jugées convenable au bien de la
Justice”.
Ainsi, le ministère public est représenté auprès de la cour
d’appel par le procureur général en personne ou par les avocats généraux et ses
substituts.
Au niveau du tribunal de première instance, le ministère
public est représenté par le procureur de la République en personne ou par ses
substituts.
Dans le statut du ministère public, il y a un principe qu’il
est important de connaître et qui constitue la clé de ce débat. C’est celui de
la hiérarchie ou de la subordination qui le caractérise.
En effet, le ministère public est un corps hiérarchisé dont
le chef est le ministre de la Justice. Ce dernier, étant membre de l’Exécutif,
il est tentant de conclure que le procureur est au service du gouvernement.
Mais les choses sont un peu plus subtiles que cela et doivent donc être
nuancées.
C’est pourquoi, il est important de clarifier les relations
entre le ministre de la Justice et le ministère public dont il est le chef
comme indiqué précédemment mais dont il ne fait pas partie.
Selon l’article 37 alinéas 1et 2 du Code de procédure
pénale, le ministre de la Justice conduit la politique pénale du gouvernement.
Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.
À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public
les instructions générales de politique pénale.
Comme l’avait indiqué le Conseil constitutionnel français,
en 2017, la subordination hiérarchique du ministère public au ministre de la
Justice n’est pas une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ou à
l’indépendance de l’autorité judiciaire. Pour les ” Sages”, il y a une “une
conciliation équilibrée” entre deux principes constitutionnels : le principe de
l’indépendance de l’autorité judiciaire et les prérogatives du gouvernement qui
” détermine et conduit la politique de la Nation ” notamment en ce qui concerne
l’action du parquet.
Le ministre de la Justice peut ainsi donner des instructions
aux magistrats du ministère public mais il doit s’agir d’instructions générales
sous forme de circulaires de politique pénale. Ce qui exclut, même si le législateur
ne l’affirme pas de manière expresse, les instructions individuelles relatives
à une affaire. Et les instructions générales que reçoivent les magistrats du
ministère public du garde des Sceaux sur la politique pénale doivent être
écrites.
Plus particulièrement, lorsque le procureur de la République
doit recevoir des instructions du procureur général par exemple, celles-ci
doivent être écrites et versées au dossier.
Le principe de la subordination du ministère public comporte
d’ailleurs deux limites importantes :
D’une part, il existe ce qu’on appelle le pouvoir propre des
chefs de parquet en vertu duquel ces derniers (procureurs de la république et
procureurs généraux) peuvent engager des poursuites sans ordre ou contre les
ordres de leurs supérieurs hiérarchiques et les actes de poursuite qu’ils
posent restent valables. Ils ne peuvent encourir éventuellement que des
sanctions disciplinaires en cas de faute.
D’autre part, l’obligation qui est imposée aux magistrats du
ministère public de se conformer aux instructions de leurs supérieurs
hiérarchiques ne vaut que lorsque celles-ci sont écrites. Par contre, à
l’audience, ils peuvent passer outre ces instructions écrites et développer
oralement des arguments différents voire contraires à ceux faisant l’objet des
instructions écrites reçues et qui sont conformes à leur conscience. C’est le
sens de la règle ” si la plume est serve, la parole est libre”.
L’article 38 du CPP indique que les magistrats du ministère
public développent librement les observations qu’ils jugent convenables au bien
de la Justice.
En conclusion, le procureur de la République est au service
de la loi, donc de la société, bien que relevant de l’autorité du ministre de
la Justice à travers le procureur général. Par exemple, le ministre de la
Justice ne peut ni directement, ni oralement s’adresser au procureur de la
République pour engager ou faire engager des poursuites. Il doit passer par le
procureur général qui répercute ses instructions au procureur de la République.
Et ni le procureur général ni le procureur de la République n’est tenu de se
conformer aux instructions du ministre de la Justice s’il estime qu’elles ne
sont pas conformes à la loi. C’est dire que le magistrat du ministère public a
beau être soumis au ministre de la Justice, il n’en reste pas moins un
magistrat qui dispose d’une certaine indépendance dans l’accomplissement de sa
mission. Même si cette indépendance n’est pas comparable à celle de son
collègue du siège, elle lui laisse une marge de manœuvre non négligeable.
Il est d’ailleurs loisible de constater que lorsque l’État
doit défendre ses intérêts en justice, il est représenté par l’agent judiciaire
de l’État ou par ses propres avocats. Le procureur quant à lui représente la
société en poursuivant les infractions à la loi pénale et en requérant
l’application de la loi.
Mais il faut noter que la sempiternelle question de
l’indépendance du magistrat dépend du magistrat lui-même. S’il se conduit comme
un instrument au service de l’Exécutif, celui-ci n’hésitera pas un seul instant
à le traiter comme tel.
Il serait inexact cependant de penser que la question des
rapports entre le ministère public et la chancellerie se pose seulement en
Guinée. Le même débat agite régulièrement le monde politico-judiciaire en
France. Mais un ministre prendrait difficilement la liberté d’affirmer que le
procureur est au service du gouvernement même si l’on sait que le pouvoir
politique n’est souvent jamais très loin de certains dossiers judiciaires.
Me Mohamed Traoré,
ancien bâtonnier